Yon Lamothe, direction Alternative!
Dans le froid d’un jour d’hiver naissant, les arènes de Mont de Marsan se réveillent doucement. Le silence du Plumaçon, vide, tranche avec l’ébullition des gradins surchauffés des jours de corridas lors de la Madeleine. Seul en piste, Yon Lamothe, s’entraîne et répéte ses gammes. Pour lui, le compte à rebours a commencé. Dans moins de six mois, il deviendra matador de toros sur ce sable. C’était l’occasion pour Tertulias de rencontrer ce jeune homme déterminé…
Tertulias : Commençons par ton actualité. Ta prise d’alternative à Mont de Marsan le 19 juillet prochain vient d’être annoncée, quel est ton état d’esprit aujourd’hui?
Yon Lamothe : « Heureux et soulagé que l’annonce soit faite. Content aussi, de la réaction des gens, vu le nombre de messages reçus. Pressé de repartir à Madrid, dans mon quotidien pour préparer tout ça au mieux.»
Tertulias : Pour cette alternative, ce sera Roca Rey le parrain. Au delà du plaisir que cela doit te procurer, n’est-ce pas un danger de se confronter d’entrée à un tel « monstre » ?
Yon Lamothe : « Roca Rey c’est le numéro 1 incontestable du moment, il est sur une autre planète. D’un autre côté, je sais où je veux aller à long terme. Je veux être confronté à ce qui se fait de mieux. Avec mes armes, dans ce jour exceptionnel et particulier de l’alternative, je ferai en sorte d’être à la hauteur. »
Tertulias : Et que dire de l’élevage de Garcigrande ?
Yon Lamothe : « Content. C’est une des rares ganaderias de « figuras » où j’ai eu la chance d’aller tienter. J’en connais donc les caractéristiques et je ne pars pas dans l’inconnu.»
Tertulias : Cette annonce d’alternative est un moment de joie, mais tout n’a pas été rose. Je me rappelle d’une novillada à Soustons en 2019, où tu sors les larmes aux yeux, comment vit-on un tel moment ?
Yon Lamothe : « Pour moi après cette novillada, je voulais arrêter. J’avais un contrat un mois après à Saint Perdon mais j’étais au fond du trou. J’ai même commencé à regarder quelles études reprendre. Avant de faire un communiqué pour informer de mon arrêt, j’ai voulu me tester une dernière fois. Je suis allé lidier un toro chez José Cruz. En arrivant à la finca, j’espérais presque que ça ne se passe pas bien, pour aller à la facilité de l’arrêt. J’avais tellement souffert à Soustons que je me disais que ça ne pouvait pas être ma vie. Le toro est sorti exigeant, mon corps et ma tête ont répondu présents. Je suis donc allé à Saint Perdon, où avec mes moyens de l’époque je m’en sors bien, coupant une oreille. Dans l’hiver qui suit, je sais que je ne vais pas avoir beaucoup de dates à venir, et là arrive la pandémie. Je me sors du monde des toros, je reprends des études, je commence aussi à travailler. Et alors que je suis un peu dans l’oubli, le manque est là, et la conviction se forge que ma vie c’est la tauromachie. Je recommence à m’entraîner. Je décide de partir à Madrid.»
Tertulias : Qu’est-ce qui explique cette bascule ?
Yon Lamothe : « J’apprends plus dans le dur que dans le succès. Finalement j’ai vécu ce moment compliqué comme une chance. J’ai réalisé dans un parcours personnel, ce que je voulais faire de ma vie même sans certitude de réussir.»
Tertulias : De quoi est fait ton quotidien aujourd’hui ?
Yon Lamothe : « A Madrid j’habite chez Sebastian Ritter (matador colombien). Dès le matin nous partons nous entraîner, entraînement que nous partageons avec Rafael Gonzalez (ex banderillero de confiance de Juan Bautista). J’y retourne seul l’après-midi pour retravailler ce que nous avons vu le matin. Il y a peu de place pour autre chose.»
Tertulias : Ce sont de simples compagnons d’entraînement ou te coachent-ils ?
Yon Lamothe : « Avec Rafa, j’ai cette relation de « coach ». Son rôle de banderillero lui permet plus de se comporter comme tel et de chercher avec moi comment travailler mon concept. Avec Sebastian, c’est l’histoire d’une belle rencontre. On s’apporte mutuellement dans notre recherche artistique. Techniquement, il m’a donné beaucoup de conseils. Pendant longtemps, s’entraîner avec lui c’était presque tienter. Il me faisait toutes sortes de toros. Maintenant j’ai plus de bagage technique… Je travaille aussi avec un préparateur mental depuis 2021.»
Tertulias : Le fil de ton histoire reprend à Roquefort le 15 août 2021 (triomphe de 3 oreilles face à des La Quinta) comment ressors-tu de cette novillada ?
Yon Lamothe : « Cette course , c’était quelque chose de très personnel. J’y suis arrivé en croyant en mes possibilités avec le travail accompli. Je n’avais rien à perdre. Je suis tombé sur deux très bons novillos, ça m’a souri…»
Tertulias : Y a t’il une différence entre Yon le torero et Yon la personne ?
Yon Lamothe : « On dit souvent qu’on torée comme on est, il y a donc forcément un lien. Ceci étant si à titre personnel j’aime les choses simples, le torero voit les choses en grand et a de l’ambition. Le torero que je suis a l’humilité de la personne qu’il met au service de son travail au quotidien pour arriver au plus haut niveau.»
Tertulias : Ce côté introverti que tu as en piste n’est-il pas pénalisant?
Yon Lamothe : «Je travaille cet aspect là avec le préparateur mental. Néanmoins ce que tu vois dans l’arène c’est le reflet de qui je suis, de mon éducation, de ma personnalité. Dans la vie, je ne me livre pas facilement. Je peux paraître froid. Certaines personnes peuvent le prendre pour de l’arrogance alors que c’est de la protection. Si je travaille cet aspect là, je ne vais pas renier qui je suis. C’est donc au travers de ma tauromachie que je vais tenter de transmettre et communiquer avec le public, sans forcer le trait.»
Tertulias : Aristiquement , techniquement que travailles-tu spécifiquement ?
Yon Lamothe : «Je suis grand, donc au niveau esthétique je dois travailler une composition des muletazos qui doit être adaptée à ma taille. J’ai approfondi la technique sur les deux dernières années pour pouvoir m’en sortir avec la diversité des encastes que j’ai eu à affronter. J’ai donc peut-être certaines après-midi, eu moins « d’âme » que de technique mais c’est un passage obligé. Mon travail cet hiver est d’apurer tout cela pour exprimer pleinement ma personnalité tauromachique. Talavante à ce titre m’inspire énormément. C’est un torero qui a une technique extraordinaire qu’il a su mettre au service de son toreo. Mon concept est de rester dans le sitio, près des toros pour faire répéter les embestidas sans devoir trop toquer la muleta. Ca peut ne pas être parfait esthètiquement. Je ne recherche pas à tout prix la beauté du corps mais ce que je ressens au plus profond.»
Tertulias :Revenons sur ta temporada 2022, tu as fait ta présentation à Madrid, mais ça ne s’est pas passé comme espéré ?
Yon Lamothe : «A la base, la novillada proposée de Madrid tombait en même temps qu’Arnedo que j’avais signé. Avec un changement de date, j’intègre au final la feria d’automne le 6 octobre avec une novillada de Valdellan. J’étais préparé pour y aller, vu comme j’ai vécu la journée j’étais mentalisé et prêt pour cette présentation. La novillada est sortie sans race, ni caste, même pas du danger qui m’aurait au moins permis de transmettre quelque chose. Ca fait partie des déceptions, des échecs. Mais j’ai appris de cette arène. J’ai envie d’y retourner. Ca a failli se faire pour la San Isidro et j’espère pouvoir y revenir avant l’alternative pour vraiment montrer ce que je suis.»
Tertulias : A 22 ans , tu as tout sacrifié pour vivre à 100% ta passion, comment te projettes-tu dans l’avenir avec le danger qui pèse sur la corrida ?
Yon Lamothe : «Bien sûr que ça me préoccupe. Ce sont nos traditions que l’on attaque, ma vie que j’ai choisie qui est remise en cause. Pour mon avenir personnel, j’ai appris avec cette vie de torero à me débrouiller, je saurais donc s’il le faut rebondir. Mais pour l’instant je reste focalisé sur mon objectif de devenir un torero qui fonctionne et qui donne envie aux gens de venir aux arènes.»
Tertulias : Tu n’as pas eu envie de montrer au créneau comme certains de tes compañeros ?
Yon Lamothe : « Je ne sens pas la capacité de débattre. Je ne suis pas formé pour aller dans les médias. Je soutiens l’UVTF qui fait un gros travail, je répondrai présent pour les aider dans tout type d’action symbolique, pour manifester. De même, comme veut le faire l’Association des Matadors de Toros Français, je crois qu’il est important de continuer en dehors des polémiques, à faire connaître notre monde.. Après ma place à moi, c’est plus dans l’arène.»
Tertulias : Pour finir, quels sont tes objectifs d’après alternative ?
Yon Lamothe : « L’alternative n’est qu’une étape. Je sais que je ne vais pas forcément, énormément toréer en 2023. Déjà avant l’alternative, il y aura quelques contrats intéressants (depuis l’entretien Yon a été annoncé à Arles en avril, après l’avoir déjà été à Vic en juin). Pour l’après à court terme, il y a quelques discussions en France et on espère garder de la visibilité en Espagne.»
Portrait Chinois
- Une couleur: le bleu
- Un animal: en plus du taureau, le chien
- Un sport: le rugby
- Une chanson: “Vuela Alto”, chanson que nous mettons dans le camion quand on va aux arènes
- Una ganadería: La Quinta
- Un torero: Alejandro Talavante
- Une passe de capote: la véronique
- Une passe de muleta: la naturelle mais j’aime beaucoup l’arrucina
- Un hobbie: le rugby
La solitude de l’entraînement ⤵️
Propos recueillis par Philippe
très bon article, il en veut Yon et il travaille pour ça. Suerte