Paroles de Président : Franck Lanati
Paroles de Président : Franck Lanati
Loués ou critiqués, les présidents de corrida n’ont pas toujours la vie facile au palco. Avec leurs deux assesseurs, ils sont garants du bon déroulement du spectacle taurin. Leurs mouchoirs par leur nombre ou leur couleur sont lourds de sens quand ils apparaissent aux yeux de tous. Tertulias est allé à la rencontre de ces acteurs importants d’une corrida afin qu’ils nous parlent de la corrida vue d’en haut!
Franck Lanati est une figure connue des palcos du sud-ouest. Membre du club taurin d’Eauze (Gers) dont il occupe la présidence depuis 2011. Il y oeuvre notamment à l’organisation de la journée taurine qui a lieu au début du mois de juillet. Il a présidé pour la première fois en 2002. En 2023, il a présidé six festejos ce qui est peu ou prou son quota annuel.
Tertulias : « Comment es-tu devenu aficionado ? »
Franck Lanati :« J’ai vu ma première corrida à Vic Fezensac. J’avais cinq ou six ans. En fait, chaque année on faisait un repas de famille lors de la Féria le dimanche. Le matin il y avait des cavalcades. Avec mon père et mon grand-père nous en avions profité pour aller aux arènes pour voir les toros de la Féria. J’avais adoré. L’après- midi mon grand-père qui était un fan de tennis regardait à la télé se jouer la finale de Roland Garros. Au bout de deux heures de jeu, la partie semblait pliée et mon grand-père a décidé de partir aux arènes et m’a amené. Je me suis régalé du spectacle, j’en avais pris plein les yeux. Par la suite, dans les années 80, la corrida a été relancée à Eauze par Pierre Miquel et mon père a adhéré au club taurin d’Eauze. J’allais aux arènes et aux conférences. Pierre Miquel m’a pris sous son aile et m’a fait comprendre ce qu’était la corrida. »
Tertulias : « D’aficionado à président comment s’est déroulé ton parcours? »
Franck Lanati :« En 2002 pour mon premier palco, il n’était pas prévu que je préside mais la personne qui était prévue pour la non piquée a eu un empêchement. Dix minutes avant le paseo, Pierre Miquel m’a demandé de la remplacer. Il y avait Rafaelillo et Talavante au cartel. Une fois la novillada terminée, comme cela s’était bien passé, Pierre Miquel m’a demandé de remplacer un assesseur de la corrida de l’après-midi. C’était l’alternative de Julien Lescarret et la corrida s’est déroulée à guichets fermés.
Après la première présidence, pour laquelle Pierre Miquel ne m’avait pas laissé le choix, cela s’est enchaîné. Une fois que tu es monté au palco, les gens te sollicitent. J’allais souvent aux arènes, j’ai fait la connaissance des organisateurs qui progressivement m’ont demandé de présider leurs spectacles taurins. Au début on est inquiet, mais j’ai été rassuré car je suis monté accompagné de personnes expérimentées.
Je suis devenu président par un enchaînement de circonstances sans jamais le demander et entouré de personnes qui connaissaient bien la chose, j’ai appris à présider. »
Tertulias : « Pour toi, quel est le rôle du président avant et pendant une course ? »
Franck Lanati :« Au départ, c’est d’être présent le matin au sorteo pour supervisee la préparation des lots et le tirage au sort. Pendant la corrida, le président est là pour accompagner le bon déroulement de la course tout en faisant respecter les fondamentaux. Aujourd’hui, il est aussi devenu de plus en plus important de vérifier la présence des équipes médicales avant de commencer la course. C’est primordial de bien le vérifier pour anticiper et éviter les problèmes. »
Tertulias : « Durant une corrida faut-il laisser la place à l’esprit ou bien appliquer strictement le règlement ? »
Franck Lanati :« J ’ai tendance à privilégier l’esprit. Par exemple, à Dax, sur le solo de Luque, c’est le torero qui fait le cinquième toro. S’il n’est pas là, je ne suis pas sûr qu’on en voie les qualités. La faena a mis du temps à démarrer. Elle démarre véritablement à la septième minute. Elle a duré au final treize minutes. Si je mets le premier avis à dix minutes, je casse tout. Il faut savoir s’adapter à la situation quand on est face à quelque chose d’exceptionnel. Je pense qu’aujourd’hui, il faut savoir accompagner le spectacle et pas être strict sur le règlement taurin. Il faut respecter le règlement mais dans certains cas, il faut savoir déborder un peu.
Pour les piques, je préside des courses « médianas » ou plus toreristas, et sur ce type de courses, la meilleure personne pour juger des piques, c’est le matador. Si en première actégorie, les deux piques sont obligatoires, en troisième c’est suivant le comportement du toro et sa force. Il ne sert rien de faire piquer un toro faible pour le vider au troisième tiers. On en parle avant avec les toreros. Je leur rappelle l’obligation des deux piques quand je suis à Mont de Marsan ou Dax par exemple mais la gestion de la pique est de leur responsabilité. C’est à eux de gérer la première pour permettre la seconde. »
Tertulias : « Comment gères-tu la pression du public? »
Franck Lanati :« Si parfois il faut écouter le public, souvent la première idée est la meilleure. Sur une faena, avant l’estocade on sait si c’est une faena d’une ou deux oreilles. La qualité de l’estocade validera le niveau de récompenses comme cette année à Mont de Marsan où sur la corrida de Garcigrande, je n’ai donné qu’une oreille à Roca Rey alors que le public en réclamait deux. C’est un peu compliqué de présider les toreros en haut de l’escalafon. Ils remplissent ou contribuent à remplir les arènes donc les gens viennent les voir sortir en triomphe. Il y a parfois des demandes qui sont abusives compte-tenu du travail que ces toreros réalisent. En général sur les trois premiers toros d’une après-midi on essaie de se retenir. Sur les trois derniers, on est un peu moins strict pour les trophées. »
Tertulias : « As-tu déjà regretté des décisions prises ?
Franck Lanati :« Oui j’en ai regretté mais quand je prends une décision, je l’assume jusqu’au bout. Quelquefois on a tendance à écouter le public, et on se trompe. On s’en rend compte souvent de suite. Il faut prendre la décision en cinq secondes et contrairement aux arbitres de rugby ou de football, nous n’avons pas d’assistance vidéo.
Donner une oreille de plus ou de moins ce n’est pas ce qui me fait peur. Ce qui me fait peur c’est l’e mouchoir vert. Je sais ce que coûte un changement de toros. J’ai remplacé des toros qui n’auraient pas du l’être. Ils peuvent sortir du toril ankylosés et il suffit qu’ils courent un peu pour que la boiterie disparaisse.
A Mont de Marsan, sur une course de Garcigrande, je n’ai pas changé le toro qui était un peu faible. Thomas Dufau lui a coupé une oreille avec pétition de la seconde. Thomas l’avait toréé muleta un peu haute et la noblesse du Garcigrande avait fait le reste. Le changement de toro, c’est toujours délicat. On peut se tromper avec des toros qui pourraient se reprendre. C’est rendu compliqué parce que chaque arène a un contrat d’assurance différent en ce qui concerne la prise en charge des toros remplacés. »
Tertulias : « Est-il facile de laisser son goût personnel en dehors du palco ? »
Franck Lanati :« Ce n’est pas toujours facile. C’est une question d’émotion. Certaines fois Je ressens des émotions comme le public. J’apprécie la faena et ce n’est pas toujours facile d’en faire abstraction. Selon la corrida, il y a des toreros que j’apprécie. Pour moi par exemple, quand Luque toréé, il est difficile de laisser mes émotions au vestiaire. A contrario quand un torero me laisse froid alors que le public réagit, il faut en tenir compte car on n’a peut-être pas tout vu. Voir une corrida au palco est complètement différent de la voir assis tranquillement dans les arènes. On essaie de faire attention à tout. Cela reste compliqué de juger en toute objectivité. »
Tertulias : « Qu’attends-tu de tes assesseurs ? »
Franck Lanati :« Il est nécessaire de beaucoup échanger avec les assesseurs qui sont souvent deux aficionados qui connaissent la corrida autant que le présidents. Nous discutons du toro, du torero. Sur le premier tiers, on regarde beaucoup le toro et son déplacement. On regarde s’il n’y a pas de problème. On a la chance d’avoir trois personnes donc trois visions de ce qui se passe en piste. Même si on n’a pas toujours les mêmes assesseurs, la plupart du temps on se connait. On arrive à fonctionner collectivement en échangeant beaucoup tout au long de la corrida.
C’est au président d’animer le débat du premier toro jusqu’au sixième. Ainsi, il se créé une confiance. Parfois on peut avoir des visions différentes par exemple sur des changements de toros. Je tranche. Certaines fois j’ai eu raison, d’autres non. Sur la musique, l’accord est plus aisé. Quand on a la chance d’avoir des harmonies de très haut niveau comme à Dax, on met la musique plus facilement. La musique a un rôle important surtout avec des publics qui découvrent la corrida.
Ce qui est important aussi, c’est de faire monter au palco de jeunes aficionados pour qu’ils apprennent et préparer ainsi l’avenir.»
Tertulias : « Désigné par les organisateurs, sans autorité officielle reconnue par le réglement, un président a-t-il les mains totalement libres par rapport à ses décisions? »
Franck Lanati :« Sincèrement dans les arènes où je préside, côté organisateurs je n’ai jamais eu de soucis ni de pression avant la corrida. Par contre cest un reconnaissance quand le président d’une commission taurine vous appelle pour présider une course , cela fait plaisir. Mais je n’ai jamais eu de pression pour accorder des récompenses. On préside bénévolement, c’est notre passion. Cela ne doit pas être une contrainte. Et puis brader les trophées, ce n’est pas rendre service à une arène. »
Tertulias : « Le règlement taurin a-t-il besoin d’être dépoussiéré ? Si oui sur quels sujets ? »
Franck Lanati :« Pour moi le règlement taurin est assez bien fait. Il faut quand même garder les fondamentaux de la corrida. Si on fait tout et n’importe quoi, cela ne va pas rendre service à la tauromachie. Par contre apporter certaines modifications pourquoi pas. Je pense à la gestion des toros blessés ou qui suite à trois avis doivent regagner le toril et qu’il faut puntiller en piste. C’est compliqué, dangereux et pas très beau de le voir faire depuis un burladero avec une puntilla classique. L’utilisation du pistolet d’abattoir, par une personne qualifié (boucher ou vétérinaire) simplifierait les choses.
Tertulias : « Quels sont tes bons souvenirs au palco ? »
Franck Lanati :« J’ai deux très bons souvenirs. Le premier, c’est la corrida de Fuente Ymbro à Mont de Marsan en 2012. Il y avait au cartel David Mora, Matias Tejela et Ivan Fandiño. Ce fut une grande corrida avec l’indulto de Jazmin. Le lot de toros a été un lot important. Le niveau émotionnel était vraiment au plus haut. Je me rappelle qu’au moment du paseo, Ivan Fandiño était en retard, bloqué dans les embouteillages entre Aire et Mont de Marsan.
L’autre corrida, c’est en 2022, le solo de Daniel Luque à Dax. C’est un moment fort avec une corrida qui est allé « a mas », à partir du quatrième toro. Tout s’est mis à l’unisson: le torero, la musique, le public, les toros et même l’orage. C’était un moment remarquable. Ce jour là pour moi, l’indulto du sixième je l’ai vu depuis le début. Les conditions de piste étaient tellement détériorées que pour livrer le combat qu’il a livré, sans jamais tomber, il fallait que ce soit un grand toro. Cela m’a aidé à prendre la décision. »
Tertulias : « Et les mauvais?»
Franck Lanati :« Je n’ai pas vraiment de mauvais souvenirs. Peut-être une fois à Dax lors d’une corrida de l’Agur. Ces corridas sont difficiles à présider parce que le public vient principalement pour l’Agur. Il y a moins d’Aficion sur les gradins et les réactions et demandes des spectateurs pas toujours pertinentes. A;ors que le public demandait au premier toro deux oreilles pour Ginès Marin, je n’en avais accordé qu’une seule et nous avons eu droit à la bronca.
Il me revient un autre mauvais souvenir, c’était en 2007 à Mont de Marsan. Les toros de Valdefresno sont tous tombés à peine sortis du toril. On en a changé deux mais tous étaient très faibles. Même les sobreros, de ganaderias différentes, tombaient. Cela me faisait mal au cœur pour les organisateurs.
En fait des mauvais moments, je n’en ai pas beaucoup. Quand tu acceptes de présider, tu sais à quoi t’attendre. »
Tertulias : « Quelles sont les qualités que doit avoir un président de corrida ? »
Franck Lanati :« Il faut avoir l’Aficion. Il faut savoir écouter ses assesseurs et parfois aussi le public. »
Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul