Paroles de président : Hugo Lavigne
Paroles de président : Hugo Lavigne
Loués ou critiqués, les présidents de corrida n’ont pas toujours la vie facile au palco. Avec leurs deux assesseurs, ils sont garants du bon déroulement du spectacle taurin. Leurs mouchoirs par leur nombre ou leur couleur sont lourds de sens quand ils apparaissent aux yeux de tous. Tertulias est allé à la rencontre de ces acteurs importants d’une corrida afin qu’ils nous parlent de la corrida vue d’en haut!
Hugo Lavigne, dacquois d’origine est un jeune président. Agé aujourd’hui de 26 ans, la valeur n’attend pas le nombre des années. C’est en effet en 2019, que le jeune homme monte pour la première fois au palco d’une corrida en tant qu’assesseur. Depuis, s’il a pris du grade en présidant directement, parfois il lui faut encore lutter, contre les à priori d’un mundillo plutôt conservateur. Le jeune homme est solide, a des convictions. En 2023, il a présidé le Bolsin de Bougue, la novillada piquée de Vic et la corrida de Pedraza de Yeltes à Dax et a été assesseur pour la non piquée d’Eauze.
Tertulias : « Comment es-tu devenu aficionado ? »
Hugo Lavigne :« J’ai eu un chemin classique. Ma famille (en particulier mon père) est aficionada. Depuis tout petit, je vais aux arènes. J’avais dix-huit mois quand j’ai assisté à mon premier festejo. C’était au Bolsin de Bougue. Très jeune, j’ai assisté aux Férias de Vic, Mont de Marsan et Dax, aux côtés de mon grand-père et de mes parents. De façon naturelle, j’ai pu développer ma propre aficion au fur et à mesure.»
Tertulias : « D’aficionado à président comment s’est déroulé ton parcours? »
Hugo Lavigne :« En étant arbitre de rugby, j’ai retrouvé des similitudes entre les deux activités. Mon père a longtemps présidé à Vic, Dax et Mont de Marsan. A force d’en parler avec des personnes comme Franck Lanati, on m’a proposé de monter au palco. J’ai commencé à présider en 2019 à Eauze. Franck m’ayant proposé d’être assesseur à la novillada du matin. C’était un privilège et un honneur. J’ai débuté en première catégorie comme assesseur à Vic Fezensac avec Bernard Sicet. Dès que je suis monté à la présidence, même si c’est différent de l’arbitrage, j’ai tout de suite apprécié. D’avoir ces responsabilités et ce rôle au service de la corrida, cela m’a tout de suite intéressé.
J’ai appris le règlement taurin, j’ai échangé avec des présidents. J’ai commencé en étant assesseur à côté de présidents expérimentés et j’ai pu ainsi, voir des conceptions différentes du rôle, de la gestion d’un course et de certain tercios. Aujourd’hui, je fais à la fois en fonction de mon aficion et de ma vision du rôle. J’ai pu évoluer et avoir des approches différentes du rôle d’un président en fonction du type de spectacles présidés. »
Tertulias : « Pour toi, quel est le rôle du président avant et pendant une course ? »
Hugo Lavigne :« Globalement, il a un rôle d’aide. Il est au service de la corrida, du spectacle. JI y a une similitude avec l’arbitrage. Avant c’est le côté le plus strict, le plus règlementaire de la mission. Il faut vérifier que tout soit en place et correct. Il n’y a aucune possibilité de dévier. Nous sommes le garant de la tenue du spectacle. S’il y a quelque chose d’anormal, le président se doit d’alerter, voire de retarder le paseo. Le rôle de l’avant est très important.
Le matin, présent au sorteo et à l’apartado, il y a déjà une première vague de vérifications. C’est à ce moment-là que se créé le contact avec les acteurs. On vérifie la conformité des toros par rapport à la catégorie de l’arène. Le président est garant de l’intégrité du spectacle. Pendant, il faut se mettre au service de la corrida tout en faisant respecter le règlement. »
Tertulias : « Durant une corrida faut-il laisser la place à l’esprit ou bien appliquer strictement le règlement ? »
Hugo Lavigne :« Dans la corrida, il y a une part d’émotion et de ressenti du moment. Je vais avoir tendance à aller un peu plus sur l’esprit à certains moments. Il y a le règlement mais il faut aussi que les gens sortent heureux. Il y a parfois des décisions qui règlementairement ne sont pas forcément orthodoxes mais c’est ce qu’il fallait faire pour l’intérêt et l’émotion.
Par exemple, sur la corrida de La Quinta et le solo de Daniel Luque, si on applique le règlement je ne suis pas sûr que l’on vive ce que l’on a vécu. Franck Lanati a eu la capacité de comprendre. Il fallait être dans l’esprit pour que ce moment soit exceptionnel. Franck Lanati et Bernard Sicet sont mes deux modèles. Ils ont cette capacité de comprendre le moment. J’espère pouvoir tendre vers cette optique-là.
J’étais assesseur quand Luque n’avait pas coupé la queue à Dax face à un toro de La Quinta en 2021. Après coup, ne pas la donner était une erreur. Je reste persuadé d’un point de vue d’aficonado, qu’il ne fallait pas la donner mais il faut comprendre le public et quand 6000 personnes demandent les deux oreilles et la queue comment réagir ? Par contre j’ai refusé une fois la seconde oreille à un torero malgré une forte pétition parce que je pense qu’il y a une limite à l’émotion si on veut garder l’intégrité du spectacle. Il faut être garant du sérieux de la corrida. En fait, l’émotion ne doit prendre le pas, que sur les moments d’exception. Cela contribue à l’éducation du public. »
Tertulias : « Comment gères-tu la pression du public ? »
Hugo Lavigne :« Quand tu présides, tu sais que la première oreille est celle du public. Quand la pétition n’est pas ultra majoritaire, tu sais que tu n’auras pas la paix. Il faut être clair dans ses idées et être prêt à subir la pression quand tu montes au palco. J’ai l’expérience hors corrida avec l’arbitrage, il faut être capable de prendre une décision et de fixer des limites. Il faut savoir tenir. Il y a quelques techniques que j’ai apprises avec mon père ou quand j’ai été assesseur pour gérer et limiter la pression. Parfois, il faut aussi gérer le manque de réactions du public.
En fin de corrida, en fonction du déroulement de la corrida, on va d’un extrême à l’autre. Du public en folie ou anormalement amorphe; le président doit avoir la capacité à gérer les deux types de situation pour récompenser le torero comme il se doit.
Dans certains cas, on peut mettre la musique pourque le public sente qu’il se passe quelque chose en piste. Cette année, sur la Pedraza de Dax et les trois avis de Fonseca, une partie du public râlait parce qu’il voulait le troisième avis, une autre parce qu’il ne comprenait pas ce qui se passait. Face à de tels moments de tension, il faut être capable de prendre sa décision et l’assumer. »
Tertulias : « As-tu déjà regretté des décisions prises?
Hugo Lavigne :« Sur ma première novillada piquée à Vic, sur un changement de tercios de piques, je me suis précipité. Quand j’ai changé le tercio, le toro a quand même été piqué une fois de plus. C’était le « foutoir » en piste. Je sais que désormais, je prendrai le temps de la réflexion avant de décider. Il y a eu aussi une oreille accordée à Antonio Ferrera à Dax en 2022. Le contexte et le public étaient défavorables au torero. Il a arrêté la musique, l’avait relancé. Il fallait comprendre l’émotion. La faena a été bonne et dans des circonstances différentes, il méritait ce jour-là une oreille.
Sur des décisions que je considérais comme juste, il n’y a pas eu du contentement mais aussi de la satisfaction d’avoir pris la bonne décision. Par exemple au Bolsin de Bougue, j’ai accordé deux oreilles à Samuel Navalon qui avait été très bon avec un public très froid qui demandait à peine une oreille. Sur une vuelta de toro, comme sur la grande course d’Escolar Gil à Vic, on a surtout la chance d’être présent car sort un grand toro.»
Tertulias : « Est-il facile de laisser son goût personnel en dehors du palco ? »
Hugo Lavigne : « Pour moi, c’est plus facile maintenant qu’au début. Au départ j’ai été surpris par la teneur du rôle et plusieurs fois j’avais tendance à juger au travers de ma vision de la tauromachie et de présider avec rigueur même en novilladas non piquées. Un président peut avoir ses opinions, mais elles ne doivent pas influencer son jugement. J’ai, aujourd’hui, plus de facilité à le faire. Je suis plutôt toriste, cela a, au début, été sur certaines corridas un peu compliqué quand je suis monté au palco. Quand tu présides, il faut quand même être sûr de tes convictions et de ce que tu aimes, tout en ayant la capacité d’apprécier tout ce qui se passe.
Aujourd’hui je serais capable de mettre de côté les éléments de La tauromachie d’un torero que j’apprécie moins, si le public demande des trophées. Je serais capable d’être juste là-dessus, comme je serais capable de tempérer mes convictions avec un torero que j’apprécie. Je pense rester froid et lucide même dans des situations compliquées du type 50/50 pour l’attribution d’un trophée.
Par ailleurs le fait d’être monté au palco à Vic, fait que j’ai été catalogué sur les corridas un peu plus dures. Mais j’ai eu l’opportunité de présider à Dax la course de Garcigrande avec le Juli, Emilio de Justo et Tomas Rufo. J’ai aussi présidé un 15 août à Dax. »
Tertulias : « Qu’attends-tu de tes assesseurs ? »
Hugo Lavigne :« Je suis dans l’échange permanent avec les assesseurs. Cela va plus loin que la répartition des tâches classiques avec l’un qui prend le temps et l’autre le bouton de la musique. De même quand je suis assesseur, je suis là en aide au président. Au palco, les décisions se prennent à trois. J’aime pouvoir discuter. On a des visions différentes de la corrida. Cela nous permet de rester froid. Souvent, on se connaît en amont. On créé la synergie en discutant, en s’expliquant. Je leur explique que je souhaite qu’ils participent pleinement à la présidence.
C’est aussi, surtout pendant la course, très important d’interroger tout le monde. Sur les corridas quand je monte avec un assesseur confirmé comme Philippe Lalanne ou Franck Lanati et un jeune, ce serait dommage de ne pas discuter. Je n’ai jamais eu de gros désaccord avec des assesseurs. Une fois, les avis ont divergé sur une vuelta à un toro. Il y avait une pétition dans les arènes, mon assesseur souhaitait vivement que je sorte le mouchoir bleu. On a discuté dès la moitié de la faena. Je l’ai refusé catégoriquement et j’ai pris ma décision seul. L’assesseur ne m’en a pas tenu rigueur. »
Tertulias : « Désigné par les organisateurs, sans autorité officielle reconnue, un président a-t-il les mains totalement libre par rapport à ses décisions ? »
Hugo Lavigne :« Oui . Je pense que si cela n’était pas le cas, ce serait quelque chose qui pourrait me faire arrêter de monter au palco. Si un organisateur me demande de mettre la musique ou de donner une oreille cela pourrait me dégoûter de ce rôle. Je n’ai jamais ressenti cette pression depuis que j’ai commencé à présider. Une fois j’ai reçu un texto d’un organisateur pendant la corrida pour mettre la musique. Je n’ai pas beaucoup apprécié et on s’en est expliqué après la course. Il faut être clair dans sa tête. Si tu attends les consignes qui viennent d’en bas, tu n’es plus garant de l’intégrité du spectacle. »
Tertulias : « Le règlement taurin a-t-il besoin d’être dépoussiéré ? Si oui sur quels sujets ? »
Hugo Lavigne : «Le dépoussiérer, se serait pas mal sur certains points. Par exemple sur les avis, on pourrait déclencher le chrono quand le matador prend l’épée. La problématique qu’il y a avec le règlement taurin, c’est que qu’il y a trop peu de personnes qui le connaissent. Il y a probablement des choses à simplifier pour le rendre plus accessible. Pour les banderilles, si le tercio s’éternise au-delà du raisonnable, on devrait pouvoir changer d’autant plus que l’on sait, que chaque capotazo enlève une passe à la faena. »
Tertulias : « Quels sont tes bons et mauvais souvenirs au palco ? »
Hugo Lavigne :« Le moins bon est quand nous n’avons pas accordé la queue à Luque à Dax. On en avait attendu des vertes et des pas mûres. Parmi les très bons souvenirs, il y a la corrida d’Escolar Gil de Vic, où je suis avec assesseur de Bernard Sicet. Un toro avait été exceptionnel. J’ai eu la chance de présider El Juli. Ce jour-là j’ai rencontré un matador que j’adore. A mon âge, j’ai mesuré le privilège que j’avais d’être le président d’une corrida avec un maestro comme lui. C’est ce genre de moment qui renforce plus l’Aficion et qui donne envie de remonter.
C’est un honneur de présider de telles courses comme c’est aussi un honneur de présider la corrida de Pedraza de Yeltès cette année. J’étais très heureux quand on m’a annoncé la nouvelle et le jour de la corrida j’étais très stressé. C’est comme à Vic quand on préside une novillada de Raso de Portillo. C’est comme si un jour, j’ai la chance de présider une course de Victorino Martin. Il y a des noms légendaires qui font rêver.»
Tertulias : « Quelles sont les qualités que doit avoir un président de corrida ? »
Hugo Lavigne : « Il doit être aficionado. Cela parait évident mais c’est primordial. Il faut être clair dans sa tête, être sûr de ce qu’on voit, va voir et qu’on aime. Il ne faut pas se laisser envahir par le doute et rester froid et juste. On ne voit pas la corrida de la même manière quand on est sur les gradins ou au palco. Il faut prendre de la hauteur, avoir la capacité de s’imprégner du moment pour pouvoir prendre les décisions au bon moment. La corrida ne doit pas être pénalisée ou désavantagée par la présidence technique.
Il faut se mettre au service de la corrida, avoir cette capacité d’écoute par rapport aux toreros, aux acteurs et par rapport au public. On doit avoir un esprit de synthèse. C’est hyper dur de faire cela et j’admire les présidents qui le font depuis dix ou vingt ans et qui sont capables de se remettre en question à chaque fois avant de monter au palco. »
Tertulias : « Le fait d’être jeune a-t-il été un désavantage ? »
Hugo Lavigne : :« Oui bien sûr, les professionnels quand ils me voient arriver doivent se dire « qu’est-ce que c’est ce type-là ? ». J’ai déjà été testé sur des sorteos par des professionnels. Je l’ai senti, mais là il ne faut pas s’échapper. J’ai eu des cas où il fallait faire entrer des toros ou non pour la corrida, on m’a demandé mon avis pour me jauger. Il faut dire aussi que je suis souvent monté avec au moins un assesseur plus expérimenté. Cela compensait. Peut-êre croyaient-ils que c’est le plus ancien qui allait prendre les décisions, le jeune étant là pour sortir les mouchoirs. Il y avait aussi ce regard-là. C’est un peu moins vrai maintenant parce que les gens commencent à s’habituer à voir ma tête.
Au tout départ, il y avait de la défiance. Je pense que les toreros quand ils voient arriver un jeune doivent se poser des questions. C’est moins vrai avec les toreros de mon âge, mais quand El Juli m’a vu arriver, il a du se dire « il est président pour faire une photo avec moi ? ! ».
Le monde taurin est particulier. Il y a une partie du public qui ne me connaissait pas et une autre qui se demandait pourquoi lui. C’est toujours compliqué quand je monte à Dax avec mon père à la commission taurine. Je gagne en crédibilité en présidant dans d’autres arènes et qui ne sont pas en lien avec Dax. Il y a aussi le corps des présidents qui apporte un certain soutien et qui crédibilise les jeunes qui montent au palco. »
Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul
Excellente interview ! Une de plus je veux dire. Félicitations Thierry et Philippe pour le contenu de votre site. Un véritable plaisir quotidien.
Je profite de l’occasion pour vous présenter tous mes voeux et vous souhaiter une très belle nouvelle année !
Hasta luego, en 2024.
Merci Miguel, meilleurs voeux en retour pour cette temporada et année bissextile 2024. Philippe.
merci Miguel. bonne année à toi et aux tiens Thierry