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Clément Albiol, apoderado par aficion

Le 04 mai, José Rojo prendra l’alternative à Trujillo. Sa particularité est d’être apodéré par un Français Clément Albiol qui l’accompagne depuis maintenant deux saisons. Tertulias a rencontré Clément, qui apodère également Miguel Losana, pour en savoir plus sur son expérience d’apoderado.

Tertulias : «En quelques mots, qui est Clément Albiol? »

Clément Albiol :  « J’ai 32 ans. Je suis né à Arles mais ma famillle est de Tarascon. J’ai vu ma première corrida à trois ans dans les arènes d’Arles avec au cartel Denis Loré, Frédéric Leal et Domingo Valderrama. J’ai donc baigné par ma famille très tôt dans l’univers des toros. Mon père est aficionado. Je sais quand j’ai vu ma première corrida mais je suis incapable de dire quand est-ce que mon aficion s’est déclenchée. Tout petit déjà, je regardais les cassettes des émissions taurines de Canal+ et de France 3 « Face au Toril ». »

Tertulias : « Comment es-tu devenu apoderado? »

Clément Albiol :  « Par la force des choses car à la base ce n’est pas mon choix. Cela s’est fait petit à petit. J’ai toujours aimé les novilladas. Je vais voir des corridas mais j’ai toujours préféré les novilladas. Cela permet de voir la relève et le futur de la tauromachie. Je suis aussi ami, avec beaucoup d’empresas. Quand je suis allé à Villaseca de la Sagra en 2021, j’ai vu José Rojo toréer la course de Cebada Gago. Il assurait une substitution, et ce jour là, coupe deux oreilles. Un de mes amis, qui regarde le festejo à la télévision, me demande de récupérer son numéro de téléphone pour pouvoir suivre ce novillero.

En fait, j’ai fait plus que récupérer le numéro. Je l’ai contacté pour partager un repas. Lors de celui-ci, je lui ai proposé de venir en France durant l’hiver pour s’entraîner chez mes amis ganaderos. Je l’ai fait par plaisir, dans l’idée de suivre quelqu’un et de vivre de plus près sa carrière. Je lui ai proposé de lui trouver quelques contacts. En fait, fin février 2022, grâce à mes contacts, j’avais signé quatre novilladas pour lui en France. Il m’a proposé au vu de ces résultats de devenir officiellement son apoderado. Le principe m’a plu et tout est parti de là. »

Tertulias : «C’est la première fois que tu apodères un torero ? »

Clément Albiol : « Oui, c’est la première fois. Après je suis très ami avec Geoffrey Calafell l’apoderado de Luis Gerpe. Comme nous sommes très amis, quand il s’occupait de Francisco Montero, je le dépannais. En son absence, j’emmenai son torero tienter. C’est là que j’ai commencé à connaître du monde et me suis créé des contacts.»

José Rojo, Aire sur l’Adour 01/05/2022
Tertulias : « En quoi consiste le rôle d’apoderado ? »

Clément Albiol :  « Pour simplifier, c’est être le directeur commercial du torero. C’est définir une stratégie autour de lui. Selon le torero, il ne faut pas le « vendre » dans des arènes où cela n’apporterait rien aux deux parties. C’est appeler toutes les empresas des arènes où je pense qu’il est bien qu’il aille. Je dois leur expliquer pourquoi l’engager lui et pas un autre. Je dois essayer de vendre ce que je vois comme bénéfique pour nous et pour l’empresa. Il faut à la base, une bonne connaissance des toros. Cela permet de construire des stratégies pertinentes. »

Tertulias : « Est-ce que ta formation te prédisposait à tenir un tel rôle? »

Clément Albiol :  « Pas du tout. J’ai une formation dans le sport et travaille depuis douze ans au service des sports de la ville de Nîmes. »

Tertulias : « Comment est-ce que tu conçois cette stratégie ? »

Clément Albiol :  « Pour José, depuis ses débuts en piquée en 2017, il avait déjà toréé beaucoup d’élevages difficiles et en particulier dans des grandes arènes, c’est assez facile car il est capable de tout prendre. Il l’a montré à Vic, Céret, Aire ou Beaucaire. La stratégie a été simple. Il peut tout tuer et l’objectif était de prendre l’alternative dans les deux ans. Dans ce cadre, tu acceptes tous les élevages pour arriver prêt pour passer à l’échelon supérieur.

Par contre c’est différent avec Miguel Losana qui débute et dont c’est la première saison en piquée. Je n’ai pas téléphoné à certaines arènes car cela n’aurait bénéfique ni pour nous ni pour elles. C’est vraiment en fonction du torero. Miguel il a tout juste vingt ans, et n’a pas l’objectif de prendre l’alternative l’an prochain. On va y aller petit à petit et lidier des novilladas qui lui permettent de le mettre en valeur et de triompher. Quand s’approchera l’alternative, la stratégie évoluera. »

Tertulias : « Est-ce que tu interviens sur les aspects techniques ? »

Clément Albiol : « Non, même si on échange parfois sur ce thème. José a d’abord été formé par Nestor Garcia. Il a été suivi techniquement et artistiquement pendant un an par le matador de toros Antonio Muñoz. Son grand-père et son père ont toréé. Sur ces aspects, il est déjà bien entouré. Je pars du principe que je n’ai pas la légitimité pour le conseiller. Je n’ai jamais été torero. De plus José aime n’entendre qu’une voix et c’est toujours celle de son père.

Si j’ai une remarque à lui faire sur la technique, je me sers de son père comme intermédiaire. Les seuls aspects sur lesquels j’interviens c’est le savoir-être, l’attitude. Je connais les arènes où il se produit. Je sais ce qu’attend le public et comment et à quoi il réagit. Avec Miguel, on est tout début et je ne l’ai pas encore accompagné dans une arène. Je sais que son père le suit et il a confiance en son mozo d’espada. »

Tertulias : « Comment cela s’est fait avec Miguel Losana»

Clément Albiol :  « Je l’ai vu toréer la non piquée de Béziers en 2022 quand il remporte le Certamen. Il était alors accompagné par un de mes amis de Villaseca de la Sagra. Il m’a beaucoup plu. J’ai suivi ses résultats en Espagne. Il est finaliste à Villaseca, Séville (avec une vuelta). Il gagne à Tolède, Miguel revient en France en 2023 à Alès. et gagne le Certamen en coupant deux oreilles à un sérieux eral de La Suerte. Je rentre en contact avec son entourage. Je leur propose de les rencontrer cet hiver pour discuter de la manière dont je pourrais l’aider. Nous nous sommes vus à Tolède et sommes tombés d’accord sur la stratégie, la manière de voir les choses. On est partis ensemble pour au moins une année. »

Miguel Losana , Ales mai 2023
Tertulias : « Comment se contractualise l’apoderamiento»

Clément Albiol :  « Cela se fait par une poignée de main. Pour mes toreros, ce sont deux poignées de main avec des photos et des communiqués qui officialisent la relation. La poignée de main signifie quelque chose d’important entre gens de parole. Il n’y a pas un contrat papier qui formalise les conditions. De tout façon personne n’a intérêt à ne pas respecter son engagement. »

Tertulias : « Comment es-tu perçu dans le milieu, toi qui es Français et apoderado? »

Clément Albiol :  « Cela s’est toujours bien passé. Quand je vais en Espagne, je représente un torero espagnol. Je ne sais pas comment cela se passerait si je gérais la carrière d’un Français car le marché est fermé pour nos compatriotes. Les réponses que je reçois quand je contacte une arène espagnole, c’est la réponse faite à l’apoderado d’un novillero espagnol.

En France, j’accentue le côté apoderado français. On vit chez nous, une période où il y a des novilleros locaux en nombre et talentueux. Il y a moins de postes à prendre. Selon les pays, la tactique et la communication sont différentes. »

Tertulias : « Certains de tes confrères français ont une assise financière que tu n’as pas. Comment fais-tu  ? »

Clément Albiol :  « Quand il faut trouver un toro à tuer pour s’entraîner, on monte une fiesta campera avec un droit d’entrée et un repas pour le financer. Il faut trouver des moyens pour les frais que ton assise financière personnelle ne permet pas de couvrir.  

Comme d’autres , je suis un artisan de l’apoderamiento. Nous devons nous organiser avec nos activités professionnelles, celles qui nous font vivre, pour gérer nos activités, taurines. Apodérer, je le vois comme une manière de vivre ma passion à fond. En tant qu’aficionado j’allais de partout et à la fin de l’année aujourd’hui, je le fais sans que cela me coûte trop cher. »

Tertulias : « Comment voit ton futur d’apoderado ? »

Clément Albiol :  « Je ne me donne pas de limites. Au départ je n’avais pas la prétention de devenir apoderado et d’en faire mon métier et je ne l’ai toujours pas. Je n’ai pas l’intention de devenir quelqu’un dans le monde des toros. Aujourd’hui je vis un rêve éveillé en cotoyant un monde qui petit me fascinait. L’alternative de José en est un exemple. Sébastien Castella est mon idole d’enfance. Après José, je n’avais pas spécialement envie de prendre quelqu’un d’autre. Miguel Losana, je l’ai vu deux fois et il m’a plu deux fois. C’est un garçon posé, très intelligent et qui sait où il veut aller. Il y a eu un coup de cœur mais je lui ai dit que je m’occuperai de lui à condition que José prenne l’alternative.

C’est compliqué de faire entrer un novillero dans une feria. Si j’en avais deux ce serait impossible à gérer. Je n’ai pas d’ambitions particulières. Je sais qu’avec José, c’est bien d’en être arrivé où on en est. Quand j’ai eu les premières novilladas en France, je ne m’imaginais pas que deux ans après il en aurait toréer 33 et qu’il prendrait l’alternative avec un cartel de luxe. Je vis chaque moment. Avec José je me projette sur la fin 2024 et la saison 2025 car on sait que l’année après l’alternative, c’est toujours compliqué. Avec Miguel, je profite de vivre ma passion et pense à cette saison sans voir pour l’instant au-delà. Je fais, comme toujours, les choses à fond et on verra bien où cela nous mènera. »

Tertulias : « Quels sont tes meilleurs souvenirs d’apoderado? »

Clément Albiol : « Il est à venir car je pense que le 4 mai (ndlr : alternative de José Rojo à Trujillo),sera un moment très fort. Sinon, il y a Aire sur Adour, le 1er mai 2022. C’était ma première avec José en tant qu’ apoderado. Il  y a eu aussi la première fois à Madrid. Nous sommes allés au Wellington. Las Ventas et le Wellington, le même jour, c’est un moment qui marque une vie de taurin. On a toréé à Madrid quatre fois en deux ans. Quand tu te retrouves « acteur » dans l’arène qui t’a fait rêver toute ta vie d’aficionado, c’est un grand moment. Je t’avoue qu’après la course quand il a fallu rentrer chez José, c’était dur que quitter la suite. Madrid, c’est quelque chose à vivre. Et à tous ces souvenirs viendront s’ajouter ceux vécus lors de la journée d’alternative. »

Tertulias : « Comment fait-on pour entrer à Madrid ? »

Clément Albiol :  « C’est compliqué. Mais il faut reconnaître qu’il y a beaucoup d’opportunités données dans cette arène. Quand on voit le nombre de festejos organisés sur une saison, cela permet à beaucoup de novilleros d’avoir leur chance d’y « actuer ». Quand tu as quelqu’un qui a une quinzaine de novilladas et qui est parmi les novilleros punteros, c’est presque une suite logique que Madrid t’offre une opportunité. »

Tertulias : « On appelle Madrid ou bien c’est Madrid qui vous appelle ? »

Clément Albiol :  « La première fois que nous sommes allés à Las Ventas c’est le 03 avril 2022. J’apodère José depuis un mois et demi donc la première fois ce n’est pas moi qui ai initié le contact. Pour la seconde fois, cela a été plus facile pour moi. Lors de sa présentation, il s’était fait attraper, et après un passage à l’infirmerie était revenu tuer son second. Il a été très bien mais blessé, ce qui a facilite le fait d’être répété. Les autres contrats, il les a gagné à chaque fois sur le sable des arènes. C’est plus facile d’appeler dans ce cas-là. C’est parfois plus compliqué de rentrer dans un cartel dans une troisième catégorie où il y a déjà deux toreros du village. On en a profité à Trujillo, dans le village de José. Il y avait chaque année une corrida mixte pour lui permettre de toréer. »

Tertulias : « D’autres souvenirs ? »

Clément Albiol : « Le mois de septembre 2022! On torée onze novilladas, trois en trois jours et neuf la première quinzaine. Les périples en fourgon d’une arène à l’autre sans trop savoir où on est. On a fait toutes les grandes férias de novilladas d’Espagne. Il ne nous manquait qu’Arganda del Rey pour faire le Grand Chelem. C’est aussi un grand moment que j’ai vécu.  »

Tertulias : « Comment définirais-tu la personnalité de José Rojo? »

Clément Albiol :  « José est un novillero expérimenté. Il a débuté en 2017. Il a toréé 52 novilladas dont 33 avec moi. il a tué tous les élevages de respect. C’est un novillero tout terrain qui a beaucoup de poder pour toréer tous les élevages et remporter, par exemple, l’Oreille d’Or à Beaucaire avec les Dolores Aguirre ou couper deux oreilles à des Cebada Gago à Villaseca.

2017 Malpartida de Plasencia
Du temps des non piquées

Il a tué lors d’un desafio des utreros de Prieto de la Cal et de Miura. Il a gagné aussi le prix de la faena la plus artistique à Mentrida ou le trophée Junco de Oro à Laguna de Duero face à une San Roman pur Domecq. José avait, à Laguna de Duero, été très artiste. Son idole était Ivan Fandiño avec qui il était très ami. Son autre idole est Joselito qui est un ami de son père. Il recherche une tauromachie qui permet de tuer tous les toros. » 

Tertulias : « Quel est son corte ? »

Clément Albiol :  « Tous les toreros aimeraient être figura et rentrer dans le circuit des corridas de vedettes. Ce qui est le plus intéressant pour lui, c’est d’être sur le créneau tout terrain avec des ganaderias dures, bonnes ou intermédiaires. Il faut être lucide. Pour entrer sur le circuit, il faut, sauf exception, tout tuer. Pour José, l’objectif n’est pas de rester dans les corridas dures mais d’être dans le créneau intermédiaire. Tu peux, si un jour les planètes s’alignent, plus en profiter.»

Ceret 2023
Roquefort 2023
Tertulias : « Qu’en est-il de Miguel Losana ? »

Clément Albiol :  « Il a vingt ans. ll a un toreo classique et a beaucoup de pouvoir sur les toros. Sa prestation à Alès avec l’eral de La Suerte en est un exemple. Il y a deux professionnels qui m’ont dit qu’il avait un peu de Manuel Caballero. Chaque muletazo a de l’impact. Il n’a pas besoin de faire des faenas à soixante muletazos, pour qu’elles dominent et veuillent dire quelque chose. C’est ce que j’aime beaucoup chez lui. En plus, il est passionné et connaisseur de la tauromachie en général.  On pourra le voir à Tarascon avec deux toros de ganaderias différentes, et voir ainsi l’étendue de sa palette. »

Alès 2023
Tertulias : « Comment vois-tu l’avenir de la corrida ? »

Clément Albiol :  « En Espagne et en Amérique du Sud, les aficionados se font peur. En France, je suis plutôt optimiste et surtout plus optimiste qu’il y a quatre ans. Je suis monté à Paris plusieurs fois pour rencontrer Cultur’Aficion. Quand on voit leur dynamisme et ce qu’ils font dans une ville hors zone taurine, c’est impressionnant. J’ai l’impression qu’il y a quatre ou cinq ans, on se cachait pour dire que l’on aime les toros. Aujourd’hui, et après l’épisode Caron, on ne se cache plus. La corrida est plus médiatisée et est défendue par des stars mais aussi et surtout par les jeunes aficionados. Il ne faut pas se reposer sur nos lauriers mais je ne suis pas inquiet à court et moyen terme. On est en train de retrouver un second souffle.  »

Merci Clément pour le temps passé à répondre à nos questions. Suerte à tes deux toreros, et souhaitons que tu vives le plus longtemps possible ta passion des toros grâce à cette activité d’apoderamiento.

Propos receuillis par Thierry Reboul

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