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Andy Younes, à pile et face

Andy Younes , à pile et face

Andy Younes a connu un début de carrière qui le plaçait parmi les plus sûrs espoirs de la tauromachie française. Puis vint l’alternative et des triomphes immédiats à Nîmes et Arles. La voie semblait traçée mais rapidement, le chemin devint semé d’embûches, les contrats rares jusqu’en 2021 où l’arlésien revêtit le costumes de lumières pour la dernière fois en Europe. Il pensait pouvoir le faire à la Mexico après s’être gagné en piste à Istres le prix dans une corrida à six toreros, mais les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent et comme soeur Anne, Andy ne vit rien venir.

Pire encore, lassé et moral en berne, il décida de ranger capes et muletas. Un festival fin 2022, lui redonna l’envie d’avoir envie. Le téléphone ne sonna pas plus pour autant. Et puis en enfin, un rai de lumière dans ce tunnel bien sombre, l’espoir renaît en 2024 avec une opportunité aux Saintes Maries de la Mer puis deux festivals en fin de saison pour se rappeler aux souvenirs de ceux qui décident et des aficionados. Une occasion pour Tertulias d’aller à la rencontre d’un jeune homme qui n’a pas encore tout dit devant un toro. Andy Younes côté pile, côté face …

Tertulias : « Bonjour Andy. Quel est ton sentiment aujourd’hui alors que tu revois enfin ton nom dans l’escalafon? »

Andy Younes : « Plus que revoir mon nom dans l’escalafon ou sur les affiches c’est de retrouver les toros qui me fait plaisir. C’est ce qui m’a manqué quand c’était calme voire très calme. Si le temps a passé, je me sens toujours à l’aise devant les toros. C’est l’endroit où je veux être. Cela me remplit de satisfaction et me donne envie de m’entraîner tous les jours. »

Tertulias : « Comment as-tu vécu cette période délicate sans contrat, ni toros? »

Andy Younes : « Pas très bien forcément. Il y a eu des moments pas évidents. Il y a une année sans cape ni muleta et j’ai même coupé du milieu de la tauromachie. A la fin de l’année, on m’a appelé pour prendre la substitution de Currro Diaz dans un festival à Vauvert. Même sans aucun entraînement, j’ai pris cela comme un challenge personnel. Suivant les sensations et le résultat que j’aurais au festival, je prendrais la décision de reprendre ou non l’entraînement sérieusement.

Cela s’est en fait très bien passé, puisque j’ai grâcié un toro de Margé. J’ai retrouvé l’illusion et j’ai repris à m’entraîner en changeant complètement ma façon de le faire. J’ai essayè d’approfondir ma tauromachie. Par manque de moyens, de tentaderos, j’ai beaucoup travaillé de salon. Quelque part j’ai eu la tête dans le guidon et le temps a passé sans que je ne me rende vraiment compte qu’il a fallu presque deux ans avant que la corrida des Saintes n’arrive. J’essaie de prendre plus de plaisir dans ma préparation, dans ma quête! »

Tertulias : « As-tu envisagé durant ton année sabatique de purement et simplement abandonner le torero? »

Andy Younes : « En fait c’était flou, et je tenais à ce que ça le reste. Après une corrida à Istres qui ne s’est ni bien, ni mal passée, je savais que sans triomphe de ma part ça serait très compliqué. Je savais que la temporada suivante allait être un enfer pour moi. Comme dans la métaphore de la piscine, je me suis laissé coulé jusqu’à toucher le fond pour pouvoir rebondir. »

Tertulias : « Avec le recul, quelles sont les raisons de cette désaffection ? »

Andy Younes : « C’est assez compliqué. Je suis un éternel insatisfait donc je me dis que j’aurais pû être mieux. Au fur et à mesure des années, j’ai vu des toreros avoir des carrières qui décollent alors qu’ils ont moins coupé que moi au début de la mienne. Il y a donc pour moi des zones d’ombres ou qui restent floues sur les raisons exactes de cette situation. De tout temps il a fallu se battre. Dès mon inscription à l’école taurine, tout ce que j’ai toréé, je me le suis gagné avec ma cape, ma muleta et mon épée. Triompher trois fois consécutives en première catégorie sans répercussion, je me l’explique pas vraiment. On m’a toujours dit qu’une des vertus du torero c’était d’être patient, alors je prends mon mal en patience»

Tertulias : « Quel est ta part de responsabilité dans cet état de fait ? »

Andy Younes : « Des erreurs, j’en ai fait. J’en ferai encore et d’ailleurs si j’en fais, cela voudra dire que je torée enfin. Un torero ne s’est jamais fait en six, sept corridas. J’ai eu un traitement très dur de la part des empresas mais je ne suis pas très tendre au moment de me juger. Ma responsabilité est d’avoir eu les défauts de quelqu’un qui n’a pas pu beaucoup toréé. La corrida est un autre monde par rapport à celui de la novillada piquée et je fais partie de ceux qui ont besoin de temps pour comprendre, évoluer. Je l’ai payé rapidement.

Par exemple, j’ai triomphé à Istres avec à la clé la confirmation d’alternative à la Mexico. Je l’attends toujours. L’empresa a déclaré avoir fait tout ce qu’il était possible de faire pour me permettre d’aller au Mexique mais clairement je sais que cela ne se fera jamais. C’est assez démoralisant »

Tertulias : « Pendant ce temps où le monde du toro t’a tourné le dos , as-tu pu quand même compter sur des appuis? »

Andy Younes : « J’ai été formaté dans l’idée que la situation que je connais était une vraie possibilité. Donc, j’ai très peu d’amis, mais ceux que j’ai, sont fidèles, et sont les mêmes depuis quinze ans. J’ai pu donc compter sur eux. Tout mon cercle vient du monde des toros. Pierre Mailhan fait partie de ceux-là. Carlos Olsina aussi. J’ai beaucoup échangé avec lui car même si nos trajectoires sont un peu différentes, il y a au final des similitudes dans nos situations.

Cela est plus aisé d’avoir des amis qui comprennent ce que tu vis et qui peuvent se mettre à ta place. Pierre qui était le premier à savoir que je ne m’entraînerais pas, m’a dit qu’il m’enfermerait des vaches le jour où je déciderais de reprendre. En fait nous avons toréé pas mal de camargues. Ca m’a rappelé l’insouciance de mes débuts, comme quand j’ai commencé à m’entraîner avec Victor Clauzel novillero sans picadors.»

Tertulias : « Durant cette période, as-tu appris à plus te connaître en tant qu’homme ? »

Andy Younes : « Naturellement oui. Je suis passé par des phases de remise en question. Ma vie tournait autour des toros. Il a fallu que je cherche une raison à mon existence. Même si à 24, 25 ans tu es encore jeune pour savoir vraiment qui tu es. Je pense que l’on est ce que l’on vit. Je pense que je n’ai pas encore fini de vivre tout ce que j’ai à vivre avec les toros. Finalement ce sont les toros qui m’ont toujours jaugé et qui m’ont indiqué où j’en étais dans ma vie. »

Tertulias : « Après ce long tunnel arrive le contrat des Saintes, comment est-il arrivé et que t’a amené ce contrat? »

Andy Younes : « J’avais entendu que mon nom circulait pour cette corrida des Saintes. Jean-Baptiste m’a appelé un jour pour me proposer une nouvelle chance, trouvant qu’il n’était pas normal en s’incluant dedans, que l’on me l’ait pas donnée plus tôt. J’apercevais enfin une lumière au bout du tunnel. J’ai continué ma préparation comme je le faisais depuis 18 mois. Je n’ai pas fait beaucoup de campo, j’ai touché juste deux toros avant le contrat. Ce fut un peu bizarre quand le premier toro de Pedraza est sorti des chiqueros. Un Pedraza est un animal qui a de la caisse, du volume.

Devant l’animal, je me suis vite rassuré car je n’ai pas ressenti l’absence de pratique. Bien sûr qu’il m’a un peu manqué le rythme du toro, mais j’étais content de voir que cette pause ne m’avait tant pesé que ça. Je me suis même senti plus libéré que lors de ma saison avec Stéphane Fernandez Meca mon ancien apoderado. Je n’avais rien à perdre mais tout à y gagner. J’ai essayé de corriger ce que je pouvais me reprocher en étant moins electrique, plus posé. Il a fallu montrer que mon travail m’a permis de me recentrer en cherchant une tauromachie plus verticale, plus relâchée. J’ai été heureux de cela, même si l’épée n’a pas été à la hauteur. L’important de la journée était, au delà des oreilles, mes sensations face au toro et le ressenti du public à mon égard. De ce côté là ce fut très positif.»

Tertulias : « Au fond de toi, qu’est-ce que tu souhaites laisser comme trace sur une piste? »

Andy Younes : « Je souhaite transmettre une émotion. Dans mon début de carrière, j’ai rarement fait l’unanimité, mais j’ai rarement laissé indifférent. J’ai beaucoup plus mal vécu l’indifférence qui a suivi que les « polémiques » que mes prestations ont pu susciter surtout vers chez moi. Tout sauf l’indifférence et l’ennui. »

Tertulias : « Comment t’expliques-tu qu’à ton retour à Vauvert, sans entraînement, tu as naturellement retrouver des automatismes? »

Andy Younes : « Je ne me l’explique pas, je me suis très vite retrouvé. Comme aux Saintes quand je me suis retrouvé avec la muleta, seul face aux toros, tout est revenu naturellement. A la limite, la seule peur que j’avais, était physique que le toro de Margé, qui avait six ans, me coupe en deux. C’était la seule pression mais j’ai dépassé cela, et après ce festival la lumière s’est rallumée en moi. Je me suis senti capable de rivaliser avec des toreros en activité. »

Tertulias : « Finalement, qu’est-ce qui le plus dur à gérer, la peur , l’attente du public, la concurrence avec les autres toreros? »

Andy Younes : « Tout cela est plutôt une source de motivation. Revêtir un costume de lumières me grandit, ma personnalité change complètement. J’arrive à passer au delà de la peur physique, enfin j’essaie (sourires) car c’est nécessaire. Il faut savoir être dans un état de concentration maximal. La compétition avec les compagnons de cartel est motivante. J’aime toréer avec de nouveaux toreros. Par exemple à Méjanes, c’est la première fois que je partageais l’affiche avec Javier Cortés qui est un torero que je respecte énormément, ça m’a fait plaisir. Comme le veut la loi de Murphy, la seule grande peur que j’ai, est de ne pas toréer. J’ai été phobique d’être inactif. Tout ce qui est en dehors de ça me tire vers le haut. »

Tertulias : « Et le public? Tu as dit que tu n’as jamais fait l’unanimité, comment l’as tu vécu? »

Andy Younes : « Il y a eu des moments où cela m’a motivé et d’autres beaucoup moins drôles. Cela a pu me blesser surtout chez moi à Arles où on a été très dur avec moi. Ne pas faire l’unanimité blesse, mais cela donne aussi une force d’avoir des détracteurs car ça forge le caractère et oblige à la remise en cause. J’ai expérimenté le « nul n’est prophète dans son pays ».»

Tertulias : « La corrida des Saintes, les festivals d’Arles et de Mejanes ont commencé à t’apporter des contacts concrets? »

Andy Younes : « Sincèrement non. Les regards ont peut-être changé, j’ai l’impression que l’on me prend plus au sérieux alors que les polémiques de mes premiers triomphes m’ont peut-être décrédibilisé. Remarque si demain, j’ai la chance de retoréer dans une arène importante et que je triomphe peut-être que les polémiques reprendront (sourires). Pour l’instant, cela ne m’a rien amené de concret mais m’a resitué dans le milieu. Il y a des exemples auquel je me raccroche comme Borja Jimenez, Clemente qui ont toréé après de longues périodes d’oubli. »

Tertulias : « Qu’est-ce qui ferait de 2025, une année réussie ? »

Andy Younes : « Difficile d’y répondre. Si dans un an, je suis un meilleur torero et un meilleur homme, j’aurais réussi mon année. Pour cela il faut aussi que je torée et il y a un certain nombre de choses que je maîtrise pas. Je vais continuer à m’entraîner, à essayer de progresser. Si ce n’est pas 2025, l’année de mon décollage, j’attendrais celle d’après et si besoin celle d’après encore. J’essaie de la prendre la plus « à la cool » possible, car c’est déjà assez frustrant et démoralisant comme cela de subir des refus, de voir des arènes où je me pense légitime de toréer, m’ignorer. J’attens mon heure en polissant ma tauromachie, en la faisant fleurir, l’améliorer. »

Tertulias : « Peut-on réussir sans apoderado ? »

Andy Younes : « Toréer sans apoderado, oui c’est possible mais pour réussir, je pense sincèrement que non. Ma famille n’a pas de connection dans les toros donc quand on me programme il n’y a d’autres intérêts que celui de ma tauromachie. Après pour en trouver un, il faut que je trouve quelqu’un qui ait envie de lutter avec moi. »

Tertulias : « Le Pérou a été une bouée de sauvetage, vas-tu continuer à traverser l’Atlantique pour continuer à vivre en torero?»

Andy Younes : « C’est plus compliqué qu’avant la pandémie de toréer là-bas. Certains toreros de second rang ont dû s’expatrier là-bas pour compenser la baisse de contrats. Du coup, des toreros comme moi, ont payé la note. Si l’opportunité se représente j’y retournerais mais avec un peu plus de bouteille, je ne suis pas prêt à aller n’importe où. Il y a une fois où je me suis demandé si l’animal que j’étais en train de toréer était un toro brave.

Ceci étant, j’ai adoré ce pays, il y a beaucoup d’arènes dont certaines comme Chota, Cutervo me donnent envie, donc si ma carrière reprend son cours, j’aimerais y retourner. Mon métier et ma passion m’ont permis de voyager, de découvrir le monde, c’est une des plus belles choses que j’ai pu faire dans ma vie. Traverser l’Atlantique, toréer au Mexique, traverser toute l’Espagne pour faire ce que j’aime… Je rêve d’avoir la vie d’un torero et de retrouver toutes ces sensations. »

Tertulias : « Tu rêves de vivre en torero pleinement. Compte-tenu des attaques répétes contre la tauromachie ne crains-tu pas que la société actuelle t’empêche d’y parvenir? »

Andy Younes : « Si cela arrive (l’interdiction de la tauromachie), je vivrais ça comme un échec de notre sociéte. Je suis posé la question déjà. Est-ce que je partirais vivre en Espagne, au Pérou? Je nous sens pas vraiment menacé pour l’instant. La tauromachie est moins tabou, il y a un regain d’intérêt de la jeunesse. Mes compagnons ont très bien défendu notre passion, lors de la PPL Caron en 2022. Je suis donc plutôt positif et si elle doit disparaître j’aimerais qu’elle le fasse naturellement comme tout chose quand elle a une fin. »

Tertulias : « Qu’aimerais-tu que l’on dise d’Andy Younes à la fin de cette année ? »

Andy Younes : « Je n’attends pas que l’on dise telle ou telle chose sur moi. Je suis surtout content que mon nom résonne de nouveau dans le monde taurin. Avec un peu de chance et dans la même ligne de préparation qu’aujourd’hui, je pense pouvoir surprendre. J’ai senti un soutien des aficionados avant l’opportunité des Saintes, si j’ai donc un message à faire passer c’est celui de l’expression de ma gratitude et de mes remerciements pour ces gens. »

Propose recueillis par Philippe Latour

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