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Mimi, par amour des mules.

Mimi, par amour des mules.

Alain Diris, connu sous le surnom de « Mimi », est une figure emblématique des arènes du Sud-Ouest. L’hagetmautien, toujours vêtu de blanc et coiffé de son béret, conduit ses superbes mules dans les plus grandes arènes du sud-ouest, de Vic-Fezensac à Mont-de-Marsan. Mais derrière cette image familière se cache un homme passionné, animé par l’amour des mules, des chevaux et de la tauromachie. Tertulias a rencontré Alain qui nous a parlé de sa passion des mules et des toros.

Une passion née des chevaux et des arènes

Pour Alain, l’aficion a commencé avec les chevaux . « Je suis devenu aficionado par le biais des chevaux. Mon père m’amenait aux arènes le jour des novilladas à Hagetmau. Mais nous ne rentrions pas dans l’arène. Nous allions voir les chevaux de pique. Je suis rentré dans le monde des toros par l’arrastre. Autrefois les muletiers, c’étaient des gens du village, qui prêtaient mules ou chevaux. J’ai débuté avec Jacky un ami et j’ai fait le chemin inverse de beaucoup, je suis devenu aficionado après avoir commencé à travailler dans les arènes. » 

L’arrastre, une vocation

Ce qui pousse Alain à mener l’arrastre, c’est son amour des animaux. « C’est l’amour des chevaux et des mules qui m’a donné envie de faire l’arrastre. C’est un virus que j’ai en moi. Je viens de fêter mes cinquante ans d’arène, il y a deux ans. Mes premières arrastres avec Jacky datent de 1972 à Parentis, j’avais 16 ans. A l’époque, nous faisions déjà Mont de Marsan puis Vic. Nous « arrastrions » pour une dizaine d’arènes souvent pour les mêmes arènes que Soldeville (l’alguacil historique du Sud-ouest).

Cela fait une quarantaine d’années que j’ai pris la succession de Jacky. J’ai commencé l’arrastre avec des chevaux. Puis j’ai acheté deux mules plutôt petites. J’ai commencé avec ces deux bêtes. Je n’en étais pas totalement satisfait. Je suis parti à Saint Jean d’Angely, pour acheter une mule et c’est un ami qui m’a incité à en acheter une deuxième et m’a prêté la somme, le temps de vendre une pouliche, pour que je puisse en acheter un seconde. J’ai pu commencer à faire l’arrastre avec des mules telles que je les voulais. »     

Les mules, une intelligence hors pair

Si Alain préfère les mules aux chevaux, c’est pour plusieurs raisons. « La mule c’est une tradition. Elle a une intelligence que le cheval n’a pas bien qu’elles ne sont pas faciles au départ. Une fois qu’elles ont acquis le savoir qu’on leur inculque, elles le gardent. Hors saison, elles sont dans les champs et se contentent de manger. Quand la saison recommence, il n’y a pas besoin de remise à niveau. Par contre un cheval, il faut le reprendre, le rééduquer .

Je ne retrouve pas chez le cheval, cette intelligence que possède la mule. On retrouve chez la mule, le côté attachant de l’âne avec du caractère mais surtout de l’honnêteté. Le dressage se fait à la maison sur trois ou quatre mois l’hiver. Je commence par leur apprendre le respect de l’homme qui les mène et leur fait tirer des charges en s’imposant comme le patron qui commande. Dans l’arène, il faut leur parler pour ne pas qu’elles aient peur. Une cape, un bruit, une forme, un monosabio qui passe près d’elle, un rien peut les perturber. A la maison, je les sors de leur zone de confort en les obligeant à sortir de leurs habitudes. En fait, elles apprennent autant dans l’arène qu’à la maison. Je les dégrossis puis les affine dans l’arène. » »

Le rôle de l’arrastre : entre rigueur et tradition

Pour Alain, l’arrastre est un art qui demande rigueur et respect. « J’ai deux paires de mules et dans chaque paire, chacune garde son côté. Elles ont ainsi un repère quand on les commande et les fait travailler. Je les achète au sevrage à six mois et les prépare pendant trois ans. Elles sont en permanence à mon contact. Ce sont des croisements Baudet du Poitou avec des juments mulassières qui ont de la charpente. Elles se rapprochent un peu du percheron avec des membres un peu plus anguleux. Cette année, pour la première fois, j’en ai acheté une dont la mère est une bretonne. Il faut des mères qui ont de la taille car la mule en général a le gabarit de sa mère. Pour les élever je commence par la promenade avant de mettre le collier puis les mettre par paire.

Dans l’arène, les mules doivent avoir de la présentation. Pour un tour d’honneur, c’est nécessaire d’avoir une certaine prestance. Il y a une règle que je respecte, c’est d’attacher le toro avec une corde. Je trouve que le faire avec un chaîne, c’est vulgaire. La carrière d’une bête dure une quinzaine d’années. Il faut aussi et quand même regarder leur valeur marchande. Une mule qui a dix ans peut se revendre assez facilement en Espagne  pour l’attelage. »

C’est sûrement la seule manière pour Mimi de voir une de ses bêtes de l’autre côté des Pyrénées. « En plaisantant, je dit toujours que je préfère rester chez les petits car pour aller en Espagne, il faut une intendance que je n’ai pas. D’ailleurs en Espagne, en général, là-bas, ce sont ceux qui amènent les chevaux de pique qui amènent l’arrastre. Elles sont menées par les des membres du club taurin.»

Vous avez dit lenteur?

L’arrastre, moment crucial où le toro est évacué de l’arène, est souvent critiqué pour sa lenteur. Alain clarifie : « Tout dépend du palco. Certains présidents nous demandent de rentrer, d’accrocher et de partir rapidement. D’autres, nous demandent d’aller plus lentement pour que monte l’ovation du public. Je dépends du président et des alguacils mais avec le métier, je n’attends pas toujours leur signal car souvent la découpe des oreilles les occupent et ils nous oublient. Pour notre part une fois rentré, on essaie de ne pas perdre de temps et rajouter des longueurs à des corridas qui sont de plus en plus étirées dans le temps. L’allongement de la durée d’une course est sutout impactée par la durée de la faena, pas par l’arrastre. Une mule peut tirer son propre poids c’est-à-dire 600kg, le plus difficile est de vaincre l’inertie car le sol accroche.

En plus travaillant dans les arènes de catégorie du Sud-Ouest, comme Vic-Fezensac ou Mont-de-Marsan, Alain explique que sa fonction dépend aussi d’une équipe de bénévoles passionnés. « Au début ce sont des voisins qui venaient m’aider puis je me suis structuré. J’ai deux gars de l’équipe qui sont en capacité de mener le train d’arrastre. C’est un travail. Il faut être attentif et ne pas venir pour paraître. L’orgueil mal placé n’a pas sa place. Aujourd’hui, nous sommes rodés. A trois, on fonctionne même si nous sommes le plus souvent à quatre. A Mont de Marsan, toute l’équipe vient et profite de la fête. On se retrouve à cinq ou six et on assure une rotation chaque jour. Le plus assidu, depuis des années, c’est Francis. Il nous dit chaque année qu’il va arrêter. Mais, à 74 ans il est toujours là. »

Un amour instinctif pour la corrida

Lorsqu’on lui demande, ce qui l’a fait aimer la corrida, Alain répond avec simplicité : « Je ne peux pas dire que j’apprécie toutes les corridas. Mais il y certains toros et matadors qui me touchent profondément. Comme on a du travail, je ne peux suivre toute la corrida mais il y a des moments où le ressenti est très fort. Je me rappelle d’un Maria Luisa à Mont de Marsan en concours. Quand on passait près de lui dans les corrales, il était couché, tranquille et une fois dans l’arène, au fur et à mesure de la corrida, je sentais les poils se dresser sur mes bras. C’est un toro qui a fait la vuelta et qui méritait sûrement d’être grâcié. En fait j’aime la tauromachie un peu dure, et je me retrouve dans la tauromachie vicoise. Après, on se régale aussi dans de petites arènes dans des novilladas. »

Indispensable rouage d’une corrida, le train d’arrastre vit dans sa bulle et les interactions avec le monde du toro reste relativement rares « Nous avons une relation lointaine avec les toreros même si Victor Mendes venait nous voir pour nous dire bonjour. Milian, Meca aussi étaient sympathiques avec nous. Avant la course, les toreros sont dans leur bulle. Dans le mundillo, il y a quelqu’un que j’ai toujours apprécié, c’est Chopera père. Partout où il organisait, il venait voir les gens de la base et saluait aussi les monosabios. Après nous avons des affinités avec les mayorales. Ce sont des hommes de terrain de l’élevage et on échange avec eux. Parfois, il y a quelques pièces de la part des ganaderos en particulier quand un toro fait une vuelta. »

Les souvenirs marquants d’une carrière hors norme

De Parentis à Arles, en passant par Béziers, Alain a accumulé des anecdotes mémorables. « Mes débuts à Parentis avec Jacky restent gravés. Une autre fois, je me suis cassé la figure à Vic en évitant une banderille sur le chemin. Les vicois m’ont chambré le lendemain ! »

Il se rappelle également un toro de réserve impressionnant par sa taille et son poids. «  Je me rappelle un toro de réserve qui dépassait largement la hauteur des planches. Pour l’arrastre, j’ai mis quelqu’un de l’équipe devant et je me suis mis derrière. Je savais qu’il fallait commander les mules pour qu’elles le tirent. On est sorti et je crois qu’il faisait 650kg de poids vif.  C’est à Vic qu’on a les toros les plus lourds à sortir. » À Arles, le défi était technique. « Nous sommes allés une fois à Arles pour une goyesque. Le tunnel des arènes est compliqué, avec un virage à angle droit. Nous avons réussi à le passer en me mettant au milieu d’elles pour qu’elles me suivent. »

La corrida, un art intemporel face aux défis

Quand il évoque l’avenir de la tauromachie, Alain reste optimiste : « Il y en aura peut-être moins, mais elle perdurera. Cela fait cinquante ans qu’on entend dire que tout va s’arrêter, et pourtant, les passionnés sont toujours là. » Toutefois, il souligne des défis importants : « L’équilibre économique et la disponibilité des équipes médicales restent des problèmes majeurs. »

Avec plus d’un demi-siècle de carrière, Alain Diris continue de vivre sa passion au rythme des arènes et de ses mules. Dans ce monde taurin riche d’émotions, de traditions et de valeurs est aussi porté par des hommes (et des femmes) qui œuvrent dans l’ombre pour que la magie opère à chaque corrida. Que Mimi continue à murmurer dans les oreilles de ses mules pour quelques années.

Propos recueillis par Thierry Reboul

2 réflexions sur “Mimi, par amour des mules.

  • Miguel DARRIEUMERLOU

    Bonsoir. Super interview, comme d’habitude. « Mimi » Diris le mérite bien !
    Avec mes voeux pour 2025, toutes mes sincères félicitations pour votre travail d’information…et d’éducation. Enhorabuena !

    Répondre

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