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Jérôme Courtiade : Parcours d’un Mozo de Espada

Jérôme Courtiade : Parcours d’un Mozo de Espada

Jérôme Courtiade n’est pas seulement un passionné de tauromachie, il fait partie des acteurs de cet univers. Son récit, marqué par des étapes riches en émotions et en apprentissages, retrace son évolution depuis ses débuts d’apprenti torero jusqu’à son rôle actuel de mozo de espada. Voyage au pays du valet d’épée.

Une passion précoce née dans les Landes

C’est au contact de la course landaise que Jérôme Courtiade fait ses premiers pas dans le milieu taurin. « Mes parents étaient amis avec Paul Deyris. Je l’ai côtoyé très jeune », confie-t-il. Rapidement, il s’oriente vers la tauromachie espagnole, un virage qui le conduit à rejoindre le Centre Français de la Tauromachie (CFT) de Nîmes à seulement 14 ans. « Ce départ n’a pas été simple. Il a fallu trouver un tuteur et organiser ce grand changement. » Pendant près de cinq ans, il vit intensément cette aventure, s’imaginant devenir torero « De 14 ans à 18 ans et demi, j’ai vécu cette aventure au CFT. A cette époque, il n’y avait pas d’école taurine. Il y avait, je crois, un groupe de practicos sur Dax. C’est pour cela que j’ai dû m’expatrier à Nîmes. C’était en 1991. »

Le rêve interrompu

Malgré sa détermination, Jérôme se rend à l’évidence en 1995 : il ne pourra pas devenir torero. À seulement 18 ans, il choisit de s’éloigner du monde taurin « J’ai voulu quitter le monde taurin en 1995. Entre 17 et 18 ans et demi, tu deviens un homme. Tu n’es plus prêt à accepter tout ce qui peut se passer, ce que l’on te fait endurer et vivre. Ce n’est pas une rébellion mais c’est une période de ton évolution où tu as du mal à accepter certaines choses. Je suis rentré de Nîmes en voulant couper les ponts avec le milieu taurin. C’est ce qui s’est passé pendant très peu de temps.  »

En effet sa passion le rattrape rapidement, lors d’une novillada à San Sebastián. Un an et demi après sa coupure, il croise Jean-Luc Dufau, »Jean-Luc Dufau est venu me voir sur les gradins. A l’époque, il faisait partie de l’organisation du Bolsin de Bougue. Il m’a demandé si je ne voulais pas les rejoindre pour faire partie du bureau. Je les ai rejoints pendant trois années.« . Il s’investit dans cette structure, malgré les difficultés liées à la distance entre Bougue et son domicile à Argelès-Gazost « Les réunions se faisaient à Bougue et moi j’habite à Argelès-Gazost. L’éloignement a commencé à poser souci bien que je méclatais dans l’organisation du Bolsin.« 

Un retour dans l’arène

Lors d’un inter-village organisé au Bolsín de Bougue, Jérôme fait la connaissance d’un jeune espoir d’une dizaine d’années, Julien Dusseing « El Santo », et sa famille. « Je me suis lié d’amitié avec lui et surtout ses parents et me suis investi pour lui. Je me suis retiré du Bolsin de Bougue pour accompagner Julien. Je l’ai aidé en utilisant mes connaissances dans le Sud-est et dans le Sud-ouest. On a toréé pas mal de capeas et de becerradas. J’ai une amitié très forte avec lui, il est d’ailleurs le parrain de ma fille ainée. »

C’est à Vergèze, alors que Julien participe à un concours, que Jérôme commence sa carrière de mozo de espada. Julien, qualifié pour une novillada sans picadors, n’a personne pour assurer ce rôle. »Un jour, on part pour un Bolsin à Vergèze. Je lui avais dit de ne pas se faire trop d’illusions, qu’il devait en profiter pour voir ce qu’était un concours inter-écoles. Tout se passe bien car Julien se qualifie pour la novillada sans picadors du lendemain. Il n’avait pas de valet d’épée. Je me suis proposé pour le faire. C’est comme cela que j’ai commencé à être mozo de espada. Santo a fait son bonhomme de chemin jusqu’à l’alternative. » Jérôme débute ainsi une nouvelle étape de sa vie en devenant valet d’épée un peu par défaut.

L’évolution vers un rôle clé

Son rôle de valet d’épée s’intensifie lorsqu’il rejoint l’équipe de Julien Lescarret en 2001. Olivier Baratchart, apoderado de Julien, remarque les compétences de Jérôme et lui propose de devenir mozo pour le matador. « J’ai fait ses deux ans de non piquées avec Julien . Lors de sa première année de piquée, en partant à Saint Martin de Crau le samedi veille d’une corrida que toréait Julien Lescarret apodéré comme lui par Olivier Barratchart. Le samedi soir, Olivier a demandé à me voir car le mozo de Julien Lescarret, Jean Luc Dufau, commençait à faire sa vie professionnelle en Espagne et ça devenait compliqué pour lui de continuer. Olivier m’a donc proposé de devenir le valet d’épée de Julien Lescarret « .

Jérôme accepte, malgré une appréhension initiale « Pour moi, accompagner un matador de toros, c’était un autre monde. Il toréait en première . J’ai fini par accepter et me suis retrouvé valet d’épée des deux Julien dans la team Barratchart. Je n’ai pas dormi de quelques jours. Je ne connaissais pas Julien Lescarret. J’ai eu la chance de tomber sur quelqu’un de facile et qui fait confiance à 100%.« 

Au fil des années, il devient une figure incontournable dans le Sud-Ouest, travaillant en tant que mozo de espada. Aujourd’hui il travaille pour Dorian Canton et Maxime Solera. « Un mozo de espada se fait recruter par le matador. Il faut qu’il puisse te faire confiance sans réserve. Moi j’ai eu la chance d’accompagner pas mal de toreros du Sud-ouest. J’ai ressenti une affinité avec eux. Et cette affinité est pour moi indispensable pour que je puisse travailler avec quelqu’un. »

Les multiples facettes du mozo de espada
La logistique

Le rôle de mozo de espada est souvent méconnu mais crucial dans le succès d’un torero « Il doit être patient, rigoureux et très ordonné en particulier sur les papiers. C’est quasi aussi important que l’argent qui aujourd’hui se gère par virement ou par chèque et plus en espèces. Pour un taurin, les papiers sont complexes en particulier ce qui concerne la sécurité sociale espagnole. Ordonné est probablement la qualité première. ». Le mozo rigoureux, ordonné et patient, gère énorméméent de choses , de la logistique à l’entretien des costumes, sans oublier le lien qui l’unit au torero.

Jérôme commence par rédiger les contrats et organiser les déplacements de la cuadrilla. Il s’assure que tout est prêt pour le jour de la corrida, gère les imprévus et veille à ce que chaque membre de l’équipe soit présent et préparé. « Le travail commence par la rédaction des contrats pour l’envoi à l’organisateur. Y figure notamment la cuadrilla avec qui on s’est mis d’accord en liaison avec l’apoderado. On contacte l’ayuda qui va te décharger d’un certain nombre de choses. Dans certaines cuadrillas, il peut en particulier gérer l’hôtel même si pour ma part en tant que mozo, je préfère le faire moi-même.

Ma hantise ce sont les hôtels. Il y a tellement de problèmes avec le monde taurin dans les hôtels que tu n’es pas toujours bien reçu. C’est pour cela que quand je suis simple ayuda, je ne m’occupe pas de l’hébergement. On organise le voyage pour les Espagnols qui viennent ce qui n’est pas toujours simple quand tu as des « forfaits de dernière minute ». Il faut alors trouver le remplaçant avec l’aide de l’apoderado.« 

Jour de corrida

Le travail commence bien avant l’épreuve. « Le jour de la course, tu te présentes à l’hôtel. Normalement les papiers sont faits mais parfois il faut veiller à les finaliser. Arrive l’heure du sorteo à l’issue duquel il convient de rameuter tout le monde pour être le plus tôt possible à l’hôtel pour manger avec le matador. Lors du déjeuner, nous essayons de nous détendre, de plaisanter et en général on y arrive. Tout le monde part à la sieste. Personnellement, j’ai toujours de l’administratif à finir et je donne un coup de main à l’ayuda.  Après la sieste, le tension s’installe et vient le temps de l’habillage. En général, je garde des affaires du matador à la maison, ce qui fait qu’elles sont toujours propres. C’est le mozo qui se charge du nettoyage après la corrida.».

Finalement c’est pendant la course que le travail est le plus « tranquille ». « Le jour d’une corrida, je suis focalisé sur mon matador et je ne vois au final pas grand-chose de la course. L’ayuda est trop occupé lui et ne voit rien de la corrida. La corrida, je la vois quand même mieux quand je suis sur les gradins. En fait j’essaie d’être au plus près de lui sans l’étouffer. Je suis toujours attentif à ses demandes. en restant le plus discret possible.»

Relation de confiance

La confiance réciproque est essentielle notamment sur la partie financière qui pourrait devenir source de conflits. « En général, l’empresa paie le matador et le matador nous paie. Certaines empresas versent l’argent, déductions faites du social, pour que le matador rémunère le reste de son équipe. Le matador paie la nuitée d’hôtel de la veille pour la cuadrilla avec le petit déjeuner et le repas de midi. Il me donne l’argent et je me charge des paiements y compris des cuadrillas. A la fin, il y a une feuille de liquidation et on valide les factures et les comptes. Le mozo est responsable de la régularité des entrées et sorties« 

Confident?

Durant la phase d’habillage, les moments d’intimité favorisent la confidence et le rôle du mozo va bien au delà d’un simple rôle fonctionnel. « L’habillage est une somme d’habitudes. Dorian par exemple, je le connais par cœur et je sais comment cela doit se passer. S’il y a des changements, il m’en fait part. il n’y a pas d’inquiétudes particulières. Pour quelqu’un que tu habilles pour la première fois ou que tu n’as pas habillé depuis longtemps j’ai toujours la hantise d’un bouton qui casse ou qu’il manque quelque chose.

Cela arrive quand le torero veut s’habiller à la dernière minute. Là tu transpires un peu même si tu as un peu d’expérience. Je suis là pour m’adapter au torero, je ne veux pas les perturber. Je lui là pour m’adapter. Nous n’avons pas de secrets. Il faut une confiance totale. »

De la confiance à la confidence, tout peut arriver. Cette proximité permet de créer un environnement apaisé avant l’entrée en piste. « Pour être valet d’épée, il faut que les deux aient entièrement confiance en l’autre. Nous n’avons pas de secrets entre nous. Je ne travaille pas avec cinquante matadors. J’ai Dorian Canton et Maxime Solera depuis deux ans. Maxime, je suis devenu son valet d’épée parce que son ancien mazo était trop pris. Maxime en plus est quelqu’un d’adorable. Lui et Dorian ont une très bonne mentalité. c’est tant mieux car je ne veux pas faire d’alimentaire et garder une certaine passion pour ce que je fais. Je réponds à toutes les questions qu’ils peuvent me poser. J’essaie de le faire le plus simplement possible. « 

S’il nous arrive de parler de tauromachie c’est plus souvent en sortant du campo. Les tentaderos sont filmés et, en les revoyant, on débriefe en essayant de trouver des solutions, de voir ce qui a été mal ou bien fait. Heureusement avec le torero on ne parle pas que de toros mais des choses de la vie simples ou importantes

Une vie d’engagement et de passion

Malgré les exigences de ce métier, Jérôme parvient à concilier sa vie professionnelle à la coopérative agricole avec son rôle de mozo de espada. Il souligne l’importance de la passion dans cette activité : « Je ne fais pas cela pour l’argent, mais pour l’amour des toros. »

« J’aime la tauromachie, avec ma femme et mes filles, nous allons régulièrement sur les gradins voir des festejos. Je préfère les corridas qui sur le papier, ne font pas trop peur. J’ai eu ma dose avec Julien Lescarret pendant huit ans et aujourd’hui avec Dorian et Maxime. Durant une course, je me projette sur le torero et parfois sur le collègue car je sais que certaines fois, il va avoir beaucoup de travail. 

Il arrive à concilier vie professionnelle et sa fonction de mozo de espada. « Je travaille dans une coopérative pour la vente directe de viandes.  Cela fait dix huit ans. On s’est toujours arrangé avec les trois directions différentes que j’ai eues, j’ai même pu prendre des mois de juillet et août sans solde. Après quand on a besoin de moi, si je suis en congés, et que je peux y aller j’y vais. S’il faut faire des heures supplémentaires, je les fais.« .

Travailler pleinement mais avec des contraintes acceptables

La tentation de vivre pleinement de ce métier a été balayée par rapport aux contraintes que cela aurait entraîné. « Cela m’a traversé l’esprit. Mais je ne me suis jamais profilé pour. C’est un autre de mode de vie. Partir avec une figura ou un torero connu, cela veut dire partir avec lui au campo, pour les toros en privé, partout où il va. Tu torées quarante courses par an, mais tu es absent de la maison 300 jours. C’est compliqué quand tu as une famille. »

De toute façon, le mercato des mozos, s’il existe, reste assez fermé «  Je ne le vois pas très intense et je ne me sens pas concerné. A partir du moment ou tu passes en novillada piquée, début de la carrière professionnelle, c’est bien quand tout est cadré. La locomotive, c’est le matador. S’il se sent bien et voit que cela roule, j’ai rarement vu un matador en quatre ans, changer trois fois de valet d’épée sauf faute grave. »

Jérôme ne cherche pas à faire absolument des contrats en refusant plus qu’il n’en accepte, le sueldo fixé par le convenio espagnol lui assurant juge t’il une juste rémunération « Quand tu reçois la somme tu te dis « ha oui quand même ». Pour un jour c’est très bien rémunére. Après tu réfléchis. Ce n’est pas un jour de travail (de l’envoi des contrats au nettoyage une corrida c’est entre 12 et 14 heures de travail). Je ne vais me plaindre. Je ne fais pas cela pour l’argent , je refuse pas mal de sollicitations. Cela met du beurre dans les épinards. En novillada piquée, quand tu vois le salaire d’un valet d’épée par rapport à ce qui reste au novillero, ce n’est pas trop mal payé. »

Une anecdote marquante

Parmi ses nombreux souvenirs, Jérôme se remémore un moment de stress lors de la Féria de Pâques à Arles. Alors qu’il prépare tout pour la corrida, il réalise que la caja de montera de Julien Lescarret est introuvable. Après des recherches frénétiques, il s’avère que la montera est restée à Bayonne au domicile du torero.

Cette anecdote, bien qu’angoissante sur le moment, illustre l’imprévisibilité et la responsabilité inhérentes à son rôle. « Avec Julien Lescarret, nous partons pour la Féria de Pâques à Arles, première corrida de la saison. C’ est aussi la première corrida de Miura qu’il va tuer Julien Lescarret. Arrivés à Arles, je dispatche le contenu du fourgon dans les chambres. Costumes, zapatillas , tout est là mais je ne trouve pas la caja de montera. Je fais le tour de toutes les chambres. Je regarde partout dans le fourgon, rien! J’appelle Julien qui après réflexion, s’aperçoit qu’il l’a oubliée chez lui. Il reste d’un calme olympien, et me dit qu’on a le temps la course c’est demain après-midi.

Carpe diem

On appelle tout le monde mais tous ceux qui devaient venir étaient déjà sur la route.  Je ne suis pas très tranquille et j’appelle l’ayuda en lui disant que nous n’avons ni montera, no coleta, ni bretelles, ni cravate. Dans le stress, on se débrouille pour rappatrier le jour même, trois monteras prêtées par  Jean Loup Aillet, Frédéric Leal et Marco Leal. Après essai d’un Julien toujours aussi tranquille alors qu’il allait toréer des toros de Miura, il m’a dit : « tu vois bien que ce n’était pas un problème »

Le parcours de Jérôme Courtiade incarne sa passion envers la tauromachie. Chaque anecdote, chaque défi, chaque moment de complicité avec les toreros qu’il accompagne reflète son engagement envers cette fonction de valet d’épée qui en aucun cas est un métier compensant ses rêves inassouvis « J’y suis arrivé par hasard. Je ne m’étais pas dit que j’allais continuer à côtoyer le milieu et à vivre dedans en intégrant ces fonctions. J’y serais de toute façon, certainement venu, car on m’aurait probablement sollicité. »

Merci à Jérôme pour sa disponibilité et ce moment d’échanges et à bientôt autour d’un callejon ou d’un fourgon de torero.

Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul

2 réflexions sur “Jérôme Courtiade : Parcours d’un Mozo de Espada

  • oh merci à vous deux pour cet interview avec Jérôme Courtiade..
    il est loin ..le jour où il était à Bayonne en non piquée …
    j étais à côté de sa mère très très inquiète qui ne comprenait pas pourquoi son fils voulait être matador..
    merci encore

  • Miguel DARRIEUMERLOU

    Magnifique Jérôme… Merci Thierry, merci Philippe, de lui avoir ainsi donné la parole. Il le mérite amplement ! Et plus généralement, merci pour vos interviews toujours très complets.

Commentaires fermés.

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