Samuel Navalon, un jeune-homme pressé
Samuel Navalon est un jeune-homme pressé. Sa carrière est supersonique. Elle l’a mené de ses débuts en non piquée à sa confirmation madrilène en à peine trois ans. A vingt ans, le natif d’Ayora sait que le plus dur commence et qu’il va falloir se frayer un chemin parmi les toreros les plus aguerris. De toute façon, il en rêve depuis tout petit car il n’a jamais envisagé une autre vie que celle de torero. Tertulias a profité de sa présence au congrès de l’UCTF à Arles pour échanger avec lui. Entretien à découvrir.
Tertulias : « Samuel, pour commencer, tu reçois un prix en France, celui de novillero triomphateur dans le sud-est… Que ressens-tu ?»
Samuel Navalón : « Je suis très heureux de recevoir ce prix, celui de triomphateur de la saison française dans le sud-est. Pour moi, c’est un immense honneur. Cela a été une saison où j’ai pu toréer de nombreuses après-midis en France, et disons que cela a été un pilier fondamental de ma saison, ces novilladas dans le sud de la France. Cela me fait énormément plaisir, et j’espère pouvoir recevoir encore de nombreux prix en France, cette fois en tant que matador de toros.»
Tertulias : « Restons sur le sujet de la France : que représente ce pays dans ta carrière, et que penses-tu de la tauromachie en France ?»
Samuel Navalón : « C’est une aficion qui me fascine. La tauromachie française m’a séduit dès le premier moment où je l’ai découverte. Aujourd’hui, chaque fois que je retourne en France pour toréer, c’est pour moi une immense joie. Je pense que la tauromachie y est vécue d’une manière différente de celle de mon pays, mais d’une manière captivante, où l’on ressent un respect total envers le toro et envers la profession, et donc envers le torero. C’est un pays où il y a une afición extraordinaire, et la vérité est que la France, comme je l’ai dit, m’a fait ressentir des émotions très fortes, et mon souhait est de pouvoir y revenir de nombreuses fois.»
Tertulias : « Tu es jeune et tu as une carrière très rapide : une année « sans chevaux », une année comme novillero avant de prendre l’alternative en septembre dernier et de la confirmer en octobre. Pourquoi tant de précipitation ?»
Samuel Navalón : « Eh bien, je considère que les choses, quand elles viennent de Dieu, arrivent au moment où elles doivent arriver, non ? Dans mon cas, ce qui est fait est fait. Je suis heureux d’avoir franchi les étapes ou pris les décisions que j’ai prises. Je ne pense pas que cela ait été trop rapide. Peut-être que, du point de vue des aficionados, tout cela a semblé précipité, mais dans mon cas, je suis très content d’avoir fait les choses de cette manière. Pour moi, cela a été très positif, tant l’alternative que la confirmation et la saison que j’ai réalisée comme novillero.»
Tertulias : « Cette rapidité ne te fait-elle pas sauter des étapes, que ce soit dans l’apprentissage technique ou dans la maturité face aux toros ?»
Samuel Navalón : « Bien sûr, la maturité devant le toro est quelque chose de fondamental. Bon, l’étape que j’ai vécue a été très belle pour moi et, comme je le dis, j’ai dû prendre certaines décisions ou de franchir des étapes qui n’étaient pas faciles. Je pense que je les ai abordées de la bonne manière et que j’ai réussi à les assimiler comme je le voulais. C’est donc une étape très positive. Mais je suis conscient que, désormais, la difficulté viendra des toros qui sortent de partout, et aussi du fait d’être matador de toros, ce qui est la chose la plus belle mais aussi la plus difficile au monde.»
Tertulias : « Quand on est si jeune et que l’on exerce cette profession, quelle est ta relation avec la mort, qui plane toujours sur une arène ?»
Samuel Navalón : « La mort est la seule chose dont tout le monde sait, jeunes ou moins jeunes, qu’elle arrivera dans nos vies. Tout le reste peut ou non arriver, mais la mort, on sait qu’elle viendra tôt ou tard pour nous tous. Il est vrai que dans le toreo, on a droit à la « beauté » de la vie : le triomphe, la joie, le bonheur, mais la mort est également très présente. Elle est vécue et visible dans une arène.
Le fait de vouloir être torero, depuis le début, depuis l’enfance, t’oblige à assimiler la mort et à cohabiter avec elle. C’est pour cela que c’est si difficile, car beaucoup de gens pensent peut-être qu’ils sont capables de jouer ou de vivre avec la mort aussi proche, mais finissent par se rendre compte qu’ils ne le sont pas. Pour moi, la mort est une compagne de vie. Je sais qu’elle peut arriver à tout moment, mais j’espère pouvoir l’affronter encore longtemps dans cet univers.»
Tertulias : « Une autre question un peu grave : tu es originaire d’Ayora, dans la Communauté valencienne. Comment as-tu vécu le drame qui a touché la région avec le passage de la DANA ?»
Samuel Navalón : « Ça a été quelque chose d’horrible. Grâce à Dieu, ni ma famille ni moi n’avons été touchés par cette catastrophe. Mais je suis allé dans les villages affectés pour aider un peu, pour enlever la boue, pour nettoyer les maisons. C’était horrible, on aurait dit un film d’horreur. Et la vérité, c’est qu’encore aujourd’hui, les gens continuent de vivre avec les conséquences de cette catastrophe, car c’est une situation qui prendra beaucoup de temps à se résoudre. Peut-être que les aides dont ils ont besoin ne sont pas celles qu’ils reçoivent, mais bon… Heureusement, comme je l’ai dit, cela n’a pas touché ma famille ni moi, mais je suis très affecté par ce que toutes ces personnes ont dû vivre.»
Tertulias : « Revenons aux toros. Toi, en tant que Valencien, tu n’es pas annoncé aux Fallas. Est-ce une déception ?»
Samuel Navalón : « C’est une désillusion. Surtout parce que j’avais énormément envie de toréer cette année, de faire ma présentation comme matador de toros à Valence. Comme je l’ai dit auparavant, lorsque les choses doivent arriver, elles arrivent, et si elles n’arrivent pas, c’est peut-être pour une bonne raison. Donc, je suis très jeune, comme tu l’as bien dit, et je suis sûr et convaincu que je vais pouvoir toréer à Valence. J’espère que ce sera à de nombreuses occasions et que je pourrai y obtenir de nombreux triomphes.»
Tertulias : « Quelle est la réaction de l’afición de Valence face à ton absence ?»
Samuel Navalón : « Eh bien, j’ai vu que l’afición avait envie de me voir, et c’est quelque chose qui me réjouit énormément. J’ai vu beaucoup de commentaires d’aficionados qui auraient aimé me voir dans la programmation des Fallas. Même si c’est quelque chose que j’aurais aimé, je n’y suis pas de toute façon. Mais cela me permet de voir le côté positif : le fait que les aficionados aient envie de me voir, me motive beaucoup.»
Tertulias : « Comment se profile ta saison 2025 ?»
Samuel Navalón : « Très prometteuse, avant tout. Jusqu’à présent, ce sera la saison la plus importante de ma vie, même si, dans le toreo, chaque année est la plus importante. Pour moi, cette saison est très significative. Pour l’instant, je sais que je vais pouvoir toréer dans l’arène la plus importante du monde, ce qui est quelque chose de très grand pour moi. Le reste se verra au fil du temps. Petit à petit, au fur et à mesure que la saison avance, j’espère que beaucoup d’occasions de toréer se présenteront. Et avant tout, qu’il y en ait beaucoup ou peu, j’espère avoir donné 100 % et avoir montré dans les arènes où je torée, devant les aficionados, que je peux devenir une « figura del toreo ». C’est pour cela que je suis là.»
Tertulias : « Madrid se dessine donc à l’horizon, qu’en attends-tu ?»
Samuel Navalón : « J’espère en sortir par la grande porte (rires). Madrid, c’est tout pour les toreros. Dans mon cas, l’année dernière, j’ai eu l’occasion d’y toréer deux après-midis : ma présentation comme novillero et ma présentation comme matador de toros lors de ma confirmation d’alternative. C’est l’arène qui m’a fait vivre les émotions les plus fortes, qui m’a fait ressentir tout ce que le toreo peut faire ressentir : la responsabilité, la peur, l’incertitude, mais aussi le bonheur et le privilège de pouvoir être dans cette arène. J’espère donc que ce sera une après-midi très importante, qui m’apportera beaucoup pour la suite de ma carrière.»
Tertulias : « Être à l’affiche avec des banderilleros, n’est-ce pas un handicap* ?»
Samuel Navalón : « Je pense que c’est ce qui rend le toreo si beau : chacun a une tauromachie différente. Dans le toreo, on montre de la transparence et la personnalité de chacun. Eux, dans ce cas, sont de grands toreros, également banderilleros, et moi, je ne pose pas les banderilles, mais j’espère très bien toréer.»
*cartel pressenti El Fandi, Samuel Navalón, Ismael Martín (confirmation) – Toros de Conde de Mayalde
Tertulias : « Peut-on penser que tu seras présent en France cette saison ?»
Samuel Navalón : « J’espère que oui. Pour l’instant, il a déjà été annoncé que je toréerai à Arles en septembre, ce qui me réjouit énormément, car l’an dernier, j’ai pu y toréer avec picadors et ce fut une après-midi très importante pour moi, tout comme l’année précédente en tant que novillero sans picadors. Cette année, bien que ce soit en septembre – ce qui est encore un peu loin – j’ai vraiment hâte que cela arrive. Cela me fait très plaisir d’être annoncé à Arles. J’espère également être présent dans beaucoup d’autres lieux en France. Nîmes, par exemple, me fait très envie. L’année dernière, j’ai vécu une après-midi très importante là-bas, en sortant par la Porte des Consuls, et j’espère pouvoir y revenir cette année.»
Tertulias : « En continuant sur le thème du toreo, comment définirais-tu ton style ?»
Samuel Navalón : « Chaque torero reste fidèle à sa personnalité. Je suis une personne très sincère et très transparente. J’essaie de refléter dans mon toreo une vérité totale et absolue, basée sur l’entrega et l’engagement, en cherchant évidemment à toréer de mieux en mieux, avec plus d’élégance, de profondeur et de fluidité. Mais avant tout, ce qui pour moi est très clair, c’est que le fondement de mon concept est l’entrega. Quand j’atteins le niveau d’engagement qui me satisfait, c’est là que je donne 100 %, et le reste vient naturellement. Je peux très bien toréer un toro ou trouver des ressources à courte distance, mais avant tout, c’est le lien créé grâce à mon engagement qui compte.»
Tertulias : « Il me semble également que le poder est l’une de tes qualités, non ?»
Samuel Navalón : « Je pense que le poder et le contrôle sont nécessaires à tous les toreros, peu importe leur style. Si un torero ne maîtrise pas, il est à la dérive. Même celui qui torée le mieux doit dominer ses outils et maîtriser la charge du toro. Sinon, lorsqu’il se sent dépassé, il commence à se défendre et à accrocher les passes. En résumé, je pense que le poder est quelque chose de fondamental dans le toreo. Et peut-être que dans mon style, on peut effectivement percevoir un peu cette qualité.»
Tertulias : « Quelles sont, jusqu’à présent, tes zones d’amélioration et, au contraire, quels sont tes points forts ?»
Samuel Navalón : « Je dois m’améliorer dans tous les domaines, et je dois affiner et corriger de nombreux défauts et mauvaises habitudes dont je suis conscient. C’est cela qui est beau, car on n’arrête jamais d’apprendre, et en plus, comme je suis jeune, il est logique que j’aie beaucoup de choses à apprendre. Sinon, cela n’aurait pas de sens. Donc, je dois travailler sur beaucoup de choses, mais je pense que j’ai aussi, dans ma manière de toréer, certaines qualités. Par exemple, la connexion avec le public, la fraîcheur… ou du moins j’essaie, et parfois je sens que j’y arrive. Face aux toros également, j’ai parfois comme tu l’as mentionné, le poder, la maîtrise et le contrôle de la situation. En partant de cela, je dois peaufiner beaucoup d’autres aspects, toréer de mieux en mieux et devenir un torero complet.»
Tertulias : « Quelle est ta structure d’entraînement ?»
Samuel Navalón : « Dans ma vie, tout, absolument tout chaque jour, tourne autour du toro. C’est ma profession et mon mode de vie. Une journée pour moi, depuis le moment où je me lève jusqu’à celui où je me couche, est consacrée au toro. Le matin, je fais mes entraînements physiques et je pratique aussi le toreo de salon. L’après-midi, c’est pareil. Et surtout, avec l’esprit toujours concentré sur ma profession, pour m’améliorer et devenir un meilleur torero. Comme je l’ai dit, toute ma vie est dédiée à ma profession.»
Tertulias : « Dans la tauromachie, souvent l’apoderado cherche et conclut les contrats. Qu’attends-tu du tien ? Peut-il avoir un rôle de directeur technique ?»
Samuel Navalón : « Mon apoderado, comme tu l’as dit, s’occupe de la gestion des contrats, de faire en sorte que je torée dans beaucoup d’arènes. Et bien, de lui, j’attends qu’il se consacre à 100 %, qu’il travaille au maximum pour que je puisse toréer dans de nombreux endroits et comme il pense que je mérite de toréer. Et bien, ce que je peux dire de mon côté, c’est que je suis tranquille parce qu’il fait son travail et moi, j’essaie de donner 100 % en faisant le mien, c’est-à-dire donner le meilleur de moi-même en toréant et en cherchant à m’améliorer.»
Tertulias : « Mais c’est un manager pour les contacts, pas pour la préparation proprement dite, comment fais-tu sur ce point?»
Samuel Navalón : « C’est exact, mais je suis très satisfait de mon apodrado, car je considère qu’il fait un excellent travail dans son domaine, la gestion de ma carrière auprès des empresas. En ce qui concerne mon évolution artistique, je suis totalement immergé dans le travail quotidien, cherchant à m’améliorer en tant que torero. J’essaie de m’entourer de grands professionnels qui peuvent m’apporter leur sagesse afin de continuer à apprendre.»
Tertulias : « Tu te consacres totalement au toreo depuis très longtemps, comment a réagi ta famille?»
Samuel Navalón : « Je veux être torero depuis que j’ai l’âge de raison, depuis que je suis tout petit. Toute ma vie, j’ai voulu être torero, même si au début, c’était un jeu. De plus, ma famille ne connaît pas le monde du toro. Ils aiment ça mais ne sont pas des aficionados qui vont souvent aux corridas et ils connaissent mal la tauromachie.
Mais grâce à moi qui suis torero, ils ont petit à petit découvert le monde du toro et aujourd’hui, ils le vivent très mal, mais ils me soutiennent comme ils l’ont toujours fait dans chacune des décisions que je peux prendre dans ma vie. En l’occurrence, c’est être torero, et ils me soutiennent et viennent avec moi là où il le faut.
Je suis allé à l’école taurine (d’Albacete, à 1heure du domicile familial) à partir de 11 ans. Jusqu’à ce que je débute avec picadors, et que j’aie mon permis de conduire, mon père m’a accompagné. Il m’a toujours soutenu à fond. Il laissait son travail de côté pour m’accompagner dans la réalisation de mon rêve.»
Tertulias : « Comment vois-tu ta carrière à long terme ?»
Samuel Navalón : « Quand tu veux parler à Dieu, tu espères qu’il te réponde ! À long terme, j’aimerais obtenir de grandes triomphes dans des arènes importantes. Cela me permettrait d’entrer dans les grandes ferias et les affiches prestigieuses. C’est le rêve de tout torero.»
Tertulias : « Enfin, quel est le rêve ultime de Samuel Navalón ?»
Samuel Navalón : « Mon grand rêve est de devenir un torero qui marque son époque dans la tauromachie. Et tout au long de ma carrière, pouvoir profiter au maximum de ma profession. Passer le plus de temps possible et pouvoir profiter de ma famille et mes amis, c’est un rêve tout aussi important.»
Samuel Navalon est désormais lancé dans le grand bain. Petit poisson parmi les requins ou bien déjà à l’aise avec les grands carnassiers de l’escalafon? Le passage de Madrid nous en dira plus. De jeune homme pressé à jeune homme installé Samuel Navalon a désormais toutes les cartes en main.
Retrouvez la galerie photos du tentadero de Samuel Navalon à la ganaderia Pagès-Mailhan
Propos recueillis par Philippe Latour