Alma Serena: «Les toros? C’est affaire de patience!»
Le ciel bleu azur donne un avant-goût d’été au coeur de l’hiver landais. Philippe Bats ganadero d’Alma Serena finit de soigner un novillo. Travail matinal de campo… Cet après-midi, Philippe commencera à donner un coup de jeune, à la placita de tienta. A Aurice, le temps s’écoule tranquillement au rythme dicté par les novillos. Tertulias en a profité pour rencontrer cet éleveur qui malgré les coups durs et les vicissitudes essaient de garder l’âme sereine.
Les origines
La ganaderia vit et évolue au fil du temps
« Aujourd’hui il reste dix vaches d’Algarra parmi lesquellles il y a de bonnes familles. Côté Miranda de Pericalvo, en 2020 nous avons acquis 14 vaches tout en éliminant une quinzaine de bêtes âgées en 2021, qui n’apportaient pas ce que nous en attendions. Aujourd’hui au final nous arrivons à avoir 70 vaches de ventre« . Les vaches sont séparées en trois lots et sont confiées aux bons soins des reproducteurs « nous avons quatre sementales que je découvre au fur et à mesure dont un depuis l’an dernier, et un dernier que l’on va commencer à tester l’an prochain. Nos sementales sont d’origine Garcigrande. »
Faire des choix
« Nous nous sommes récemment séparés d’un semental dont les produits s’éloignaient trop de ce que nous recherchons. Que ce soit en tienta ou dans l’arène, le bétail issu de ce reproducteur était très, trop, exigeant. Nous nous sommes peut-être trompés car j’estime que nous manquons encore de métier. Il a fallu prendre une décision. Les novillos et les vaches calculaient le torero en humiliant.
Quand tu les vois exigeants comme ça à 2 ans, tu te poses la question de comment ils seront à 3 ou 4 ans. Cela reste un choix à faire qui reste difficile. Le même semental nous a fourni des erales compliqués à Hagetmau et un très bon à Bayonne qui est tombé heureusement sur un novillero avec du bagage (Jarrocho) car le novillo même bon, demandait les papiers. »
La surprise
Parfois il y a des surprises, dûes à des imprévus, qui bouleversent les paramètres.
« Nous avons eu un toro grâcié à Gamarde. On lui a confié cinq vaches. On verra les résultats d’ici trois ans. Ce toro, par les familles, je ne l’aurais pas forcément gardé. Les professionnels et toreros ce jour là (ndlr: Rafi fut le torero en charge de la lidia) nous ont dit qu’il méritait d’être gracié. Alors finalement on l’a gardé, et on va le tester. Il est joliment fait. Sa mère est d’origine Algarra et son père était un toro plutôt avec du tamaño. Le grand toro, ce n’est pas ce que je recherche et lui, s’il a du squelette il n’est pas trop grand mais il a peu de tête. Cette année, on lui donnera une dizaine de vaches.
J’ai envoyé, pour avis, la vidéo de la pelea à Juan Bautista qui m’a dit d’en prendre soin… donc, affaire à suivre. Il n’empêche que cela (l’indulto) a quand même été un grand moment. Le novillo peut créer son histoire. Il y a aussi un côté sentimental. C’est le dernier toro que Pierre a vu naître ( ndlr: le frère de Philippe avec qui il a créé la ganaderia, décédé subitement en 2019). D’ailleurs on l’a appelé Pedroso. »
La gestion « Covid«
Les ganaderos où qu’ils soient ont dû gérer à leur niveau, la pandémie. Pas de spectacles, une certaine surpopulation du bétail qui a suivi en 2021. Tout le monde n’en est pas ressorti indemne
« On prend beaucoup de plaisir à venir travailler ici, mais clairement nous avons eu un surcroît de travail car il y avait beaucoup plus d’animaux sur le campo. 6 animaux seulement ont été lidiés en privé en 2020 et en 2021, on en a sorti une quinzaine. Nous sommes allés à Dax, Mugron, Orthez, Captieux en fiesta campera, Saint-Sever en novillada piquée (desafio avec Casanueva).
L’hiver 2021-2022, il y avait des toros partout sur le campo. La temporada 2022 heureusement a été bonne. Nous avons pu lidier 52 erales et novillos. Nous les avons tous vendus que ce soit en fiestas camperas, novilladas ou en privé. Aujourd’hui, la situation redevient normale pour nous. La camada est d’une trentaine de novillos dont vingt-six sont déjà vendus. La période traversée a été compliquée mais tout s’est finalement bien passé et nous n’avons pas eu besoin de mener de bêtes à l’abattoir.
Nous avons découvert la gestion des toros de 3 ans. Il y a eu de la casse, des bagarres. Il y a eu des surprises le matin en arrivant au campo. Les 2 novillos de Saint Sever par exemple ont failli tuer un semental de neuf ans. Nous avons une centaine d’hectares clôturés. Cela convient très bien en situation normale. C’était très juste pendant la période du Covid. »
Retour sur la temporada 2022
Avec 52 bêtes lidiées en 2022, la temporada fut prolifique quantitativement. Sortir autant de fois était aussi dangereux en terme qualitatif car anormalement élévé. Si la sélection, les choix ne sont pas les bons, le regard posé sur Alma Serena peut devenir moins bienveillant dans le sud-ouest, débouché quasi-exclusif à ce jour pour la ganaderia
« Dans l’ensemble, il y a eu de bonnes choses. La ganaderia semble se stabiliser. Certes, il y a eu des erales exigeants,et compliqués pour des débutants comme à Hagetmau mais il y a eu pas mal de bonnes choses comme à Mugron, La Brède, Maurrin où il y a eu un novillo de vuelta. La novillada de Rion a été comme je les aime. Celle de Maubourguet était bien faite et a fonctionné.
En tentadero, on cherche plus que la noblesse. On veut de la bravoure, y compris dans la muleta. Les vaches doivent mettre la tête en bas. Elles doivent répéter. Il faut de la fixité. Au cheval, le galop est important. Si la vache se colloque bien au cheval sur les 2 ou 3 premières piques, ça nous convient très bien. Je crains toujours que la vache laisse toute son énergie au cheval. Il est plus important qu‘elle mette la tête en bas, aussi au cheval, que de multiplier le nombre de piques.
Sur ce qui a été vu les fois où la ganaderia est sorti en piquée, ça montre que pour l’instant je ne me trompe pas trop. Saint-Sever a été un moment marquant pour la ganaderia. Au cheval les 2 novillos ont été très intéressants. Ce qu’on a vu en fiesta campera à Captieux l’ a confirmé aussi. Le Garcigrande nous a amené ce que nous n’avions pas avant dans le Miranda.»
Les perspectives 2023
« En 2023, on reviendra dans les arènes où on était déjà allé en 2022. Quelque part, on se dit que si les organisateurs veulent nous voir revenir, c’est que ça s’est plutôt bien passé. Ce sera Mugron, Hagetmau, Maurrin, Mont de Marsan et d’autres qui seront annoncés plus tard. Sur la trentaine de toros, il y en a déjà 26 vendus. J’ai déjà dû refusé des demandes comme Dax, Saint Sever, Seissan. Maintenant il va falloir confirmer. »
La problématique IBR
« Aujourd’hui, ce qui est préoccupant dans les ganaderias, c’est le problème sanitaire. Les troupeaux devront être exempt d’IBR en 2026. C’est une forme de grippe. On doit éliminer toutes les bêtes porteuses positives or la détection de l’IBR est très compliquée. En effet, certaines vaches ont été vaccinées, et aujourd’hui, on ne sait pas si c’est le vaccin qui fait réagir ou si elles sont réellement malades. Désormais, quand on achète ou qu’on vend une vache, elle doit être contrôlée au départ et à l’arrivée. Elle peut être positive à l’arrivée, alors qu’elle était négative au départ. Tout n’est pas encore très clair sauf que si la vache est positive, il faut l’éliminer.
Moi en tant qu’éleveurs de braves je ne suis pas d’accord. Eliminer des vaches de bonnes familles, familles qu’on a mis parfois 10 ans à construire, c’est détruire un patrimone génétique. C’est d’autant plus vrai, quand on a des doutes sur lla fiabilité des prélèvements et des analyses. On a jusqu’en 2027 pour tout « assainir » sachant que si le cheptel est négatif pendant 3 ans consécutifs, on devient exempté. L’an dernier, tous les prélèvements étaient négatifs. Mais encore faut-il que les prélèvements soient fiables. Il nous est demandé de vacciner, mais ça peut jouer sur la fertilité des vaches. Bref nous faisons face à une complication supplémentaire. »
Le passage en piquée?
Au delà de ce problème sanitaire dont il est difficile à ce jour d’entrevoir les conséquences véritables sur l’élevage du bétail brave, Alma Serena continue de se développer et naturellement le passage en novillada piquée se pose. Le niveau supérieur impose des contraintes et une pression supplémentaire qui ne laissent que peu de place à l’improvisation. Après avoir longtemps refusé cet obstacle de taille, Philippe Bats commence à envisager l’éventualité. Mais à l’image du personnage, la prudence reste de mise mais ce jour viendra.
« Au niveau des naissances en moyenne, c’est toujours du 50/50 entre mâles et femelles. Pour bien travailler, 70 vaches de ventre c’est le minimum. En dessous, tu ne peux pas suffisamment effectuer un travail d’élevage et de sélection. L’idéal, c’est que dans les familles qui fonctionnent, on sorte des mâles pour les tienter. Nous n’en sommes pas encore là. Je garde des vaches de ventre longtemps. La preuve, on vient d’en sortir, qui avaient 23 ans. En général, on les sort quand elles ne font plus de veaux, deux années successives. Nos sementales les plus âgés, ont 9, 10 ans. Les mayorales de ganaderias installées avec qui j’ai discuté m’ont confirmé que plus ils sont jeunes, plus ils donnent des bons produits. »
Et donc?
« Ma vision des choses a changé depuis quelques années. Avec Pierre, on s’était dit que l’on verrait au moment de la retraite. Je n’y suis pas encore. Avant de se lancer dans l’aventure, il serait bien de voir ce que va nous amener le dernier reproducteur. Quand tu gardes une novillada, tu regardes tes bonnes familles pour la constituer. Il faut identifier une quinzaine de vaches et qu’elles nous fassent des veaux mâles. Les isoler, gérer les pertes. Pour y arriver, il nous faudrait une quinzaine de vaches en plus. Ça ne sert à rien de sortir une année et de ne pas de sortir les années suivantes. Il faut nous laisser un peu de temps, mais on y va. Le fait d’avoir intégré les Garcigrande nous a quand même aidé à évoluer. Cela nous aidera à évoluer par la suite encore. C’est un vrai palier à franchir.
Pour l’instant on prend beaucoup de plaisir en non piquée. C’est du travail, ça nous prend à la tête, mais on y prend du plaisir! »
Tertulias remercie Philippe Bats pour son accueil et ce moment d’échange. Alma Serena est une ganaderia qui prend le temps pour évoluer et si Gabin chantait « maintenant je sais, je sais qu’on ne sait jamais », Philippe résume bien tout cela en concluant sur ces mots « Les toros? C’est affaire de patience. »
Une journée à Aurice 📽️⤵️