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Carlos Olsina, entre liberté et partage.

Carlos Olsina, entre liberté et partage.

Carlos Olsina 71ème matador français de l’histoire, Charles Pasquier de son nom à la ville, se voit offrir en 2025 l’opportunité de se faire découvrir au delà de l’hexagone avec sa participation à la Copa Chenel. Avec Swan Soto, son apoderado, il construit patiemment sa carrière. A l’occasion de la présentation du cartel de la corrida du 15 juin à Aire sur l’Adour, Tertulias en a profité pour le rencontrer.

Tertulias : « Commençons par l’actualité. Quel est ton sentiment après cette programmation dans les arènes d’Aire sur l’Adour ?»

Carlos Olsina : « Très heureux, parce que c’est une très belle opportunité, surtout à ce niveau-là de la temporada. Le 15 juin, c’est quand même encore le début de la saison. C’est une corrida de catégorie avec la ganaderia de Pedraza de Yeltes. Je trouve le cartel attrayant et intéressant avec pour moi un côté sentimental, je dirais, puisque Manuel Escribano, qui va être le chef de lidia, a été mon maestro pendant quatre ans en Gerena en Andalousie. C’est « amusant » d’être l’élève et de se retrouver devant le maître en corrida de toros. »

Tertulias : « Comme tu viens de le dire, c’est l’élevage de Pedraza qui a sa réputation dans le sud-ouest. Comment se prépare-t-on à affronter une telle ganaderia, surtout quand on a pas énormément toréé ?»

Carlos Olsina : «  Je pars du principe que, bien évidemment, quand on va toréer une certaine corrida, il est nécessaire de regarder la particularité de l’élevage pour essayer de s’accorder au mieux le jour de la corrida. Les Pedraza sont des toros plutôt volumineux. Donc il faut faire bien sûr regarder le trazo, la hauteur, et caetera. Au niveau technique, ce sont des toros qui demandent beaucoup. Mais je pense que la saison se prépare l’hiver et vu mon petit nombre de corridas, je ne suis pas à un niveau ou je peux choisir mes élevages ou ma préparation. La préparation est faite pour affronter tout type et tout niveau de corrida. Celle de Pedraza de Yeltes va arriver au cours de la saison et sera importante car le public y sera d’autant plus attentif et sensible que si c’était un élevage lambda. »

Tertulias : « Dans tes entraînements d’aujourd’hui, tiens-tu compte que tu auras bientôt des Pedraza en face de toi ?»

Carlos Olsina : « Aujourd’hui pas vraiment, car je suis à une semaine de la Copa Chenel. Donc je fais les choses dans l’ordre. Je suis dans l’étude de Luis Algarra et de Ana Romero qui sont les deux élevages que je vais affronter la semaine prochaine. Ce sont des élevages très différents, ça sera un test. Il est vrai que le fait que je torée des corridas assez espacées dans le temps, me laisse le temps de changer le curseur en fonction des toros que je vais avoir à affronter. »

Tertulias : « Tu évoques la Copa Chenel. Au-delà de ton cas personnel, et de l’intérêt d’y briller, n’as-tu pas le sentiment de porter avec toi les intérêts la tauromachie française vis à vis du regard des professionnels et du public de l’autre côté des pyrénées qui n’est toujours tendre et partageur ? »

Carlos Olsina : « Je pense que cette responsabilité existe puisque je suis le seul français. Je vais forcément porter le drapeau, mais on parle d’art, pas de sport, ce n’est pas les JO mais la Copa Chenel. A un certain niveau quand elle doit briller, la tauromachie n’est ni française ni espagnole mais internationale. L’important est surtout de montrer ce que je suis, de montrer ma façon de toréer, d’être devant le public. C’est une très grande vitrine parce que la Copa Chenel est télévisée, elle est beaucoup regardée notamment par les professionnels. Ils m’ont vu en novillada mais pas en tant que matador de toros en Espagne, ça peut-être un très bon tremplin. Je pense qu’il faut penser au-delà de la simple compétition et ne pas voir la Copa Chenel comme un concours qu’il faut à tout prix gagner. Elle doit servir de vitrine et pour cela se donner entièrement. »

Tertulias : « Ton entrée a été repoussée deux fois (problèmes météo), comment as-tu gérer la situation, pour ne pas ressentir trop de frustration ?»

Carlos Olsina : « Très sincèrement, la première fois, c’était la veille de la corrida alors que j’arrivais à Madrid. J’avais passé une semaine à Séville pour me préparer encore plus d’intensément avant la corrida. Je l’ai mal pris, j’ai eu du mal à bien digérer les deux heures qui ont suivi l’annonce. Après, on fait un métier de spectacle et il y a des aléas qu’on ne maîtrise pas, pour le coup la météo. Il faut savoir faire face à ce genre de frustrations qui ne sont pas de notre ressort. Je l’ai mal pris la première fois, mais pour la seconde fois, je l’ai beaucoup mieux géré en me disant qu’au final si la corrida ne pouvait se faire tel jour, elle se ferait quand même plus tard. Et quoi qu’il en soit, je ne me prépare pas pour une date, mais pour une saison. »

Tertulias : « Même si tu ne la vois pas comme une compétition, il y a quand même un classement aux points dans la Copa Chenel, il y a des notes. Est-ce un avantage de toréer en fin de qualification?»

Carlos Olsina : « Je trouve le système super bien fait, mais je ne pars pas dans un objectif de me dire qu’il faut que je gagne le plus de points. Ce n’est pas des mathématiques. Les toros ça va au-delà de ça. Il y a un système de notes pour pouvoir faire une sélection, mais je n’y porte pas cas. Ce que je veux c’est donner la meilleure version de ma tauromachie. »

Tertulias : «Tu frappes un grand coup en 2023 à Béziers en indultant un toro de Margé pour ta seule course de l’année. Comment expliques-tu que ce n’est pas été un plus grand tremplin pour avoir des contrats, et ouvrir des arènes ?»

Carlos Olsina : « Je suis quelqu’un de positif qui voit le verre à moitié plein. Donc si je regarde 2024 j’ai toréé quatre fois plus qu’en 2023 (sourires). Bien sûr, j’aurais espéré plus mais la carrière d’un torero se juge sur la longueur, ce n’est pas juste sur un coup d’éclat. Je m’attendais donc aussi à ça et je suis très content d’avoir eu ces quatre corridas l’an passé, de pouvoir continuer mon chemin et de petit à petit m’ouvrir de plus en plus l’horizon. Ça a été un grand coup, mais j’ai gardé la tête froide et les pieds sur terre pour me dire que c’était juste le début de ma carrière qui était marqué par cet indulto. »

Tertulias : « Aujourd’hui, on sent que l’effet Caron pour les toreros français s’essouffle. Est-il si difficile que ça d’être un torero en France ?»

Carlos Olsina : « Je ne le pense pas réellement. Je n’ai pas de complexe d’infériorité par rapport à ma nationalité loin de là. Je suis très fier de ce que je suis, d’où je viens et d’appartenir à cette fraternité qui est celle des matadors de toros français. Nous sommes 75 dans l’histoire donc c’est très beau de faire partie de cette fraternité-là. Il y a toujours eu des cycles pour nous. Mais encore une fois, le toro au remet toujours les choses dans l’ordre, que l’on soit français, espagnol ou autre. Quand les résultats sont là, quand on se donne dans la piste, en général la récompense est au bout. Ça tarde plus ou moins à arriver mais je suis quelqu’un qui croit réellement que ça arrive.

Quand on est pur, que l’on bosse, les choses arrivent tôt ou tard. Les opportunités, en tout cas les chances qu’on nous donne elles arrivent tôt ou tard mais elles arrivent. Le train passe pour tout le monde à un moment donné, j’en suis persuadé. »

Tertulias : « Comment as-tu réussi à garder ta motivation intacte, sans perdre l’illusion ?»

Carlos Olsina : « Ma période la plus dure, a été en 2023, où je n’étais même pas sûr de rentrer dans la feria de Béziers. J’ai eu très peu de campo, j’étais en plein « bache » d’après alternative. Dans ces moments-là, je m’entraînais beaucoup avec Clémente et je me disais que je n’avais pas le droit de me plaindre. Je parlais avec quelqu’un qui avait passé quatre ou cinq ans sans toréer une seule corrida et qui s’entraînait tous les jours en gardant toujours la tête haute, et la foi. C’est un exemple pour tous les toreros émergents. Maintenant, il a changé de statut.

Je peux te parler aussi de mon maestro Manuel Escribano. Pendant quatre ans, durant ses neuf premières années de matador, il en toréait « una o ninguna » comme il dit. Et tous les jours, il s’entraînait. Il m’a toujours appris à me surpasser, à m’entraîner car tôt ou tard, l’opportunité arrive. Alors oui, je me suis plains et j’ai mal vécu une période de 6 à 8 mois, mais avais-je le droit de me plaindre? Au final, à Béziers, j’ai eu de la chance, car tout le travail qui avait été mis en œuvre j’ai pu ce jour-là l’exprimer. Le destin a voulu que ce soit comme ça.

Après, sur la durée, ce qui est dur, c’est de vraiment tenir 3, 4, 5 ans sans toréer. Encore une fois, on parle d’un rêve, on ne parle pas d’une carrière, on ne parle pas d’un travail. C’est une vie entière qu’on dédie au toro. C’est une philosophie de vie, c’est bien plus profond que de couper des oreilles. Toréer, c’est ce qui me rend heureux. C’est ce qui m’a fait arrêter les études, et qui me remplit réellement aujourd’hui. »

Tertulias : « Aujourd’hui, quelle est ta structure d’entraînement ?»

Carlos Olsina : « Elle est simple. J’ai deux footings par semaine, du yoga deux fois aussi par semaine, du renforcement musculaire bien évidemment . Et ensuite beaucoup, de toreo de salon le matin et l’ après-midi. Je suis quelqu’un qui s’entraîne beaucoup, car j’en ai besoin. Je suis plutôt un laborieux qui a besoin de beaucoup d’heures d’entraînement. Donc une journée type, dès le matin, je vais courir ou bien je fais l’entraînement physique. Ensuite je m’entraîne de salon. L’après-midi, yoga ou autre et un entraînement de salon avec chariot. Je partage mes entraînements entre Gerena, Béziers et Nîmes. »

Tertulias : « Comment définirais-tu ton toreo ?»

Carlos Olsina : « C’est très complexe de se définir, ça m’a toujours coûté de le faire. Me mettre dans une case, c’est assez compliqué. Mais en tout cas, je sais ce que j’aime, en tout cas ce que j’aime transmettre. J’ai une certaine ambivalence. Je pense qu’on l’a bien vu l’année dernière à Alès. J’ai eu deux toros très différents, et j’ai montré deux facettes. Une plus classique, plus cadrée, classique et intérieure au premier toro et une facette plus volubile avec mon second qui était plus mobile.

La connexion quand ça se passe bien, c’est mon point fort, qui devient mon point faible, quand ça se passe mal car je suis très transparent. Je me nourris de partager, d’échanger avec tout le monde. Ce que j’aime, c’est la transmission. J’aime aussi me faire peur, m’étonner, m’impressionner, et aller loin, en passant les limites dans le bon sens du terme. J’aime vivre une aventure, parce toréer c’est une aventure, c’est l’histoire d’une vie. En fait, c’est la représentation de la vie avec des moments graves, épiques, classiques, doux. C’est çe qui me fait vibrer. »

Tertulias : « Ca doit-être émotionnellement energivore ?»

Carlos Olsina : « Mais la drogue, pour moi, elle est là. Elle est dans ce côté don de soi. C’est quelque chose de très intime toréer. Moi, je trouve, en tout cas, quand je torée, je me mets à nu devant les gens. C’est un moment très intime. On se dévoile et on arrive à embarquer les gens avec nous dans cette aventure. En ça, la tauromachie est magique. Encore plus, quand on sort des règles. La perfection, parfois ennuie.

En sortant des clous on se surprend à émouvoir le public et à s’émouvoir soi-même. C’est ce que j’ai senti à haut degré quand j’ai indulté le toro à Béziers. Après la mort du second, j’étais vraiment sur un nuage. Le soir-même, des gens que je ne connaissais qui étaient aux arènes, m’ont dit qu’ils avaient pleuré, qu’ils avaient eu des émotions extraordinaires. D’avoir pu partager ce moment-là, de recevoir des messages après pendant un moment et d’avoir fait vibrer les gens m’a rendu profondément heureux. »

Tertulias : « Est-ce compatible avec garder la tête froide face à un toro ?»

Carlos Olsina : « Oui et c’est obligatoire. On le sait les toros ce n’est pas que de l’épique et du n’importe quoi. Il y a une technique, des règles, beaucoup de choses à respecter pour les faire dans les règles de l’art. Ce n’est pas incompatible et je pense que l’un peut amener à l’autre. C’est la différence entre l’artisan et l’artiste. Un artisan se doit de maîtriser la technique à la perfection et l’artiste tout en maîtrisant la technique à la perfection, il sort des sentiers battus en s’en servant. L’artiste est plus libre que l’artisan. C’est ça que j’aime. Je suis laborieux parce que j’aime travailler beaucoup la technique pour pouvoir dans les arènes, me sentir libre. C’est pour ça que je fais ce métier. »

Tertulias : « Et au-delà de tes qualités propres, des succès que tu vas avoir, qu’est-ce qui pourrait te faire aujourd’hui franchir une étape ?»

Carlos Olsina : « Je crois que ça va être encore assez long. Pour n’importe quel torero, quel qu’il soit, le point d’inflexion, c’est Madrid, pour la confirmation. Avant ça il y a bien sûr plein d’étapes, comme la confirmation à Nîmes. Mais Madrid, c’est Madrid et je l’ai senti, attention, avec une grande modestie en tant que novillero. C’est-à-dire qu’on a commencé à faire cas de moi après ma présentation de novillero à Las ventas avec une double vuelta. »

Tertulias : « Et comment fait-on pour rentrer à Madrid ?»

Carlos Olsina : «  Je pense que le circuit pour un Français, il est déjà de toréer souvent en France et saisir toutes les opportunités de le faire puis confirmer à Nîmes et ensuite seulement chercher à confirmer à Madrid. Je pense que pour nous tous le chemin, est plus ou moins pareil. Pourtant, chaque torero va avoir un parcours différent pour arriver à prendre le chemin. Je suis très tranquille avec le mien. Il m’est propre. Mon père m’a toujours dit et continue à me le dire, l’important c’est le chemin pour arriver, ce n’est pas simplement l’arrivée. »

Tertulias : « Ils sont taurins, tes parents ?»

Carlos Olsina : « Pas du tout. Mon père est médecin ORL, ma mère comptable et mon frère jumeau médecin. »

Tertulias : « Comment ta famille vit ton parcours semé d’embûches et d’obstacles à la poursuite de ton rêve  ?»

Carlos Olsina : « Je pense que j’ai été assez transparent. Nous sommes une famille soudée tous les quatre et on se dit les choses. Si je les ai protégés quand il le fallait de l’envers du décor, je leur ai dit les choses qu’il fallait dire. Je pense que l’important pour mes parents, c’est de me voir heureux. Ils me sentent heureux et épanoui dans ce que je fais. Ils voient que je suis quelqu’un de sérieux, qui travaille et surtout qui aime ce qu’il fait et ça, ça n’a pas de prix.

Quand je me suis lancé dans l’aventure, j’ai brisé des barrières, celles de l’argent, du statut social, du bien matériel. J’étais parti faire une école de commerce. Quand je revois mes copains de l’époque et que je vois leur vie, je me rends compte qu’ils la vivent moins intensément que moi. Je vis pleinement 365 jours par an car je fais un métier passion. C’est une chance, un rêve, qui, réellement, à l’heure actuelle, me remplit. »

Tertulias : « T’es-tu donné une limite d’âge au-delà de laquelle tu arrêtras si tu n’as pas réussi ?»

Carlos Olsina : « Non. Réussir par rapport à quoi et par rapport à qui. ? Je veux dire, je suis très tranquille par rapport à ça. Dans la société d’aujourd’hui on se sent obligé de réussir mais qu’est-ce que ça veut dire réussir? Avoir une Rolex à 50 ans? Je ne crois pas. Si réussir, c’est monter dans son job sans être heureux à côté, ce n’est pas pour moi. La réussite pour moi c’est être heureux.

Cette question je me la suis posée quand je me suis retrouvé en boîte de nuit à l’âge de 20 ans et que je regardais des corridas du Mexique à 2h du matin, au fumoir. Il fallait faire un choix. Où tu arrêtes ça et tu refermes le livre ou alors vraiment, tu te lances à fond parce que c’est ça qui te rend heureux. C’est ce métier et cette vie qui me font vibrer et me rendent heureux.

Pour moi la réussite, elle y est d’ores et déjà. Personne n’aurait mis un euro sur moi même pas moi à l’époque pour faire une carrière de novillero avec picadors. Je ne pensais même pas arriver à l’alternative. La limite, c’est celle que tu te mets. En fin de compte, l’anxiété du futur et de l’objectif à atteindre nous fait oublier de profiter du moment présent.

Je n’ai rien à prouver à personne. En tout cas, ce que j’ai envie, c’est d’aller le plus loin possible et de pouvoir continuer à m’exprimer. La limite sera atteinte quand je ne me sentirai peut-être plus capable de me mettre devant les toros ou quand je verrai que je suis arrivé au bout du chemin, après avoir eu une opportunité que je n’ai pas saisi. Mais pour l’instant, je ne suis pas du tout dans cette optique-là. »

Tertulias : « Une dernière question. Que doit-on te souhaiter pour 2025 ?»

Carlos Olsina : « De lâcher prise dans une arène en m’exprimant le plus librement possible. Etre moi-même tout au long de la saison pour juste capter mes émotions et pouvoir les partager. »

Merci à Charles pour sa disponibilité et suerte pour la temporada 2025 en commençant par la Copa Chenel.

Propos recueillis par Philippe Latour

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