Clemente: en quête de vérité.
Clemente , en quête de vérité.
Clément Dubecq « Clemente » a connu les montagnes russes dans sa jeune carrière. Bien que matador de toros depuis 2016 (alternative prise à Zamora), après une carrière de novillero qui avait suscicité pas mal d’espoirs, son nom a totalement disparu de l’escalafon taurin. Un jour de juin 2019, après deux ans sans contrat, sa prestation à Saint-Sever est remarquée. Clemente le torero existe toujours bel et bien! Deux ans de plus sans toréer à cause du Covid, le voilà de nouveau en piste en 2022 à Gamarde, qui opportunément lui donne sa chance. Sa temporada 2022 sera courte avec cinq contrats, mais chaque après-midi lui permettra de couper des oreilles (10 au total), notamment aux Victorino Martin affrontés aux Saintes Maries de la Mer. Après un hiver studieux, entre séjour mexicain et nombreux tentaderos, à quelques jours de revenir à Gamarde pour l’ouverture de sa temporada, Tertulias a rencontré « Clemente« .
Tertulias : « Clément, comment te sens-tu à quelques heures de commencer la temporada 2023 à Gamarde? »
Clemente : « Je me sens bien. J’ai réussi à bien travailler cet hiver au campo, à prendre confiance en allant crescendo. Cela a été beaucoup de positif pour moi. Il y a eu des moments pas toujours faciles avec du bétail parfois exigeant, mais ce sont des moments qui font grandir. J’ai passé la période de préparation, le désir de commencer la saison est maintenant bien présent. »
Tertulias : « Aujourd’hui tu es beaucoup plus sollicité, tu torées plus au campo, alors qu’à un moment donné, tu étais un peu dans l’oubli de tout le monde. Quel est ton sentiment par rapport à ça ? »
Clemente : « Je me dis que c’est beau. Je vis un moment privilégié, extraordinaire. C’est ma passion, je suis à cent pour cent dedans, et je savoure. Je n’ai aucune amertume par rapport au passé, car je considère que le seul responsable de la situation c’est moi. J’en suis conscient. Donc je prends animal par animal, j’essaie d’en tirer le meilleur parti et, d’avancer chaque jour pour mieux comprendre ma profession, mieux comprendre ma passion pour m’exprimer au mieux devant un toro. »
Tertulias : « Quel regard portes-tu sur ton parcours? »
Clemente : « Celui d’un jeune homme plutôt fragile. Il a fallu qu’il devienne un homme qui s’endurcisse pour que le torero puisse éclore. Ce jeune homme qui était donc un peu fragile, sensible a su faire de jolies choses, mais il a eu besoin d’aller chercher l’homme plus solide, plus convaincu. Je suis passé par des moments durs, mais il le fallait pour être sûr de ce que je voulais faire. Le torero a suivi l’homme. Aujourd’hui, j’interprète un toreo, et je montre un torero plus sûr de lui, qui a grandi, qui a mûri. Ce parcours m’a servi. Certes, j’aurais pu renoncer bien des fois, mais je suis fier quand je regarde derrière et je me dis que j’ai bien fait de ne pas abandonner. »
Tertulias : « Aucun regret? »
Clemente : « Je n’ai pas de regret parce que ce chemin m’a beaucoup appris. Evidemment, je pourrais regretter de ne pas être aujourd’hui en haut de l’affiche mais avec la maturité acquise, ce n’est pas quelque chose qui me préoccupe. Je suis plus dans l’instant présent, dans le désir de me construire. S’il y a eu ce passage à vide, ces moments de doutes et de réflexions, c’est pour apprendre de ces moments là, pour être plus sûr de moi devant les toros et dans la vie. Il n’y aucun regret, ce passage difficile a été bénéfique. »
Tertulias : « Il y a une connection très forte entre Clemente le torero et Clément l’homme? »
Clemente : « C’est la même personne. Je suis convaincu que je suis né torero. Je sens que c’est en moi, que j’ai un instinct créateur. Devant l’animal j’aime créer, découvrir des nouvelles sensations et approfondir ce que je connais. Donc, Clément l’homme est Clemente le torero! »
Tertulias : « Le temps perdu dit-on ne se rattrape jamais. N’es-tu pas devenu un homme pressé?»
Clemente : « Non, non. Pour moi ce n’est pas du temps perdu, comme je t’ai dit, j’ai appris. Plus que les vaches ou les toros que j’ai toréés, c’est ce temps où j’ai réussi à ne pas me détruire mais à me consolider qui m’a appris le plus. »
Tertulias : « Au fond de toi quelle est ta quête face à un toro? »
Clemente : « Créer. C’est pour cela qu’on est appelé artiste. Certains prennent un pinceau face à une toile, d’autres un stylo pour écrire. Nous, toreros avec une cape et une muleta, nous créons une oeuvre avec un toro. Nous sommes en face d’émotions profondes, des moments de vie. Je crois que c’est ce qui nous permet de sortir grandi de chaque toro. Quand on se donne, sans tricher, on arrive à mieux se comprendre, c’est une quête de vérité pour mieux trouver son chemin. »
Tertulias : « L’aspect psychologique et mental semble important dans ta préparation. Que fais tu spécifiquement sur le sujet?»
Clemente : « Juste avant la corrida de Saint-Sever en 2019, j’ai eu la chance de rencontrer un préparateur mental qui m’a fait énormément de bien. Je n’avais pas vu de toros depuis deux ans et c’était pour moi un gros effort, en fait, de repartir dans l’inconnu. C’était loin d’être évident. Deux ans sans toréer, c’est très long. Ce sont des journées à s’entraîner sans véritable objectif. Mettre des mots dessus, trouver des techniques pour mieux gérer la situation, ça m’a permis d’évoluer. Je continue ce travail. Une intimité s’est créée. C’est quelqu’un qui m’accompagne. Je parle de tout avec lui, c’est un besoin, et c’est devenu normal d’échanger sur les choses positives ou plus difficiles. »
Tertulias : « Quel est ton quotidien de torero?»
Clemente : « Durant la période sans contrat, j’ai travaillé parce que comme cela, je ne dépend de personne et cela permet d’avoir une certaine liberté. Depuis cet hiver où je suis parti au Mexique, c’est exclusivement de l’entraînement mais sans être dans de la routine. Dans mon entraînement, j’arrive à me renouveler, à ne pas être répétitif, à ne pas m’ennuyer. Je pense que ma tauromachie a besoin de ça. La répétition va me faire perdre de la créativité. Je fais beaucoup de sport, et pour l’entraînement de salon, je réponds à mes envies. Il y a des jours où je vais faire des séances de trois heures sans m’arrêter et d’autres où je vais juste répondre à mon désir de dessiner une simple faena où je vais me sentir « a gusto ». Et puis il y aussi, bien entendu des tentaderos. »
Tertulias : « En as-tu eu beaucoup ces derniers temps? »
Clemente : « J’ai eu une très bonne préparation. J’ai pu avoir deux à trois tentaderos par semaine, ce qui est énorme dans cette période où les ganaderos réduisent le cheptel. C’est pour ça que je me sens privilégié d’avoir pu bénéficier de cette préparation de luxe. »
Tertulias : « Comment définirais-tu ta tauromachie? »
Clemente : « C’est une tauromachie qui cherche la profondeur, mais pas au détriment de l’engagement. Je ne vais pas attendre le toro qui va me permettre de trouver cette profondeur, d’être doux et d’arrêter le temps. J’essaie de tirer le meilleur parti de mes toros, avec mon inspiration et mon répertoire, et ce que je sais faire. C’est une tauromachie d’inspiration avec des détails qui me viennent naturellement, selon le toro et le moment. »
Tertulias : « Y’a t’il un toro idéal? »
Clemente : « Je ne cherche pas un toro idéal, en tout cas je ne l’ai pas encore touché. J’ai touché des très bonnes vaches avec lesquelles je suis ressorti complètement vidé, mais cet animal là je ne l’attends pas. S’il doit venir, je le savourerai car c’est tellement rare de trouver une connection parfaite avec un animal..quand on l’a entre les mains, c’est un présent qu’il faut prendre à sa juste valeur. »
Tertulias : « As tu des toreros dans l’histoire de la tauromachie qui t’ont inspiré? »
Clemente : « Oui et non. J’ai ma propre personnalité que j’essaie de développer. Je ne veux pas ressembler à tel ou tel, mais il y a des toreros qui m’ont énormément impacté. Depuis tout petit, Morante est quelqu’un qui m’a laissé de très belles impressions comme l’a fait aussi Manzanares père. Au fur et à mesure que j’ai enrichi ma culture taurine, j’ai découvert Curro Romero, Rafael de Paula. J’ai mieux compris la tauromachie d’Antonio Ordoñez, celle de Pepin Martin Vasquez, de Paco Camino.
Avec des lectures et quelques images, photos ou vidéos, j’ai essayé de comprendre et d’appréhender la tauromachie de Juan Belmonte, Joselito, Domingo Ortega, Luis Miguel Dominguin. Comprendre mieux ce qu’étaient les toreros, ce qu’ils représentaient à l’époque permet d’aller chercher là-dedans ce qu’est notre tauromachie profonde. Quand je vois des images de Belmonte, je comprends qu’il y a un travail de posture, de stoicité qu’il n’y avait pas avant. La tauromachie a évolué au fil du temps et analyser son évolution, que soit la manière de toréer ou le comportement du toro, permet de me nourrir. »
Tertulias : « Tu es quelqu’un de réfléchi, peu expansif, quand tu torées tu as quelque chose de très intérieur, quel est donc ton rapport au public? »
Clemente : « Toréer, c’est très personnel, c’est le chemin de ma vie. C’est dur d’y inclure le public. C’est sûrement pour cela que le jeune torero que j’étais, a été perturbé, car il a eu du mal à comprendre que le public faisait partie du partage qu’il y a entre le toro et le torero. Aujourd’hui, j’y donne de l’importance, il fait partie de l’équation. Le public peut me porter, peut m’aider et je peux m’appuyer dessus. Même en intériorisant au départ les choses, je peux transmettre des émotions au public, ce qui va me permettre de me libérer, et d’extérioriser ce que j’ai à dire devant le toro. »
Tertulias : « Le fait aujourd’hui, que tu sois attendu, est-ce une force ou une pression supplémentaire? »
Clemente : « Celui que j’ai été avant, aurait eu la pression. Aujourd’hui, je suis concentré et désireux que cela arrive. Je trouve ça beau sans prétention aucune, qu’on puisse m’attendre. C’est un compliment et une force. Si les choses sortent bien d’entrée, le public va se mettre avec moi. Si ce n’est pas le cas, je vais tout faire pour que le public voit mon évolution, le point de maturité atteint et mes ambitions en piste. »
Tertulias : « Qu’attends-tu de cette temporada 2023? »
Clemente : « C’est encore une année de découverte…les arènes de première catégorie avec des cartels de responsabilité. Je vais toréer avec des toreros qui sont tous les jours annoncés dans les grandes ferias. J’ai envie de continuer à être dans ces cartels. Mon objectif c’est de montrer que je suis en capacité d’y être et d’être répété. »
Merci à Clément pour le temps qu’il nous a consacré, et suerte pour ce début de temporada.
Propos recueillis par Philippe Latour.
Commentaires fermés.