Culturaficion, loin du Sud, près des cornes.
Culturaficion, loin du Sud, près des cornes.
Paris, terre d’aficion!! Non ce n’est pas une galéjade ou un poisson d’avril. La tauromachie se revendique du sud, de ses valeurs, de sa culture, mais l’aficion est universelle et sans territoire exclusif. Il y a même des practicos actifs au pied de la tour Eiffel! Il y a quelques semaines, les matadors français sont allés à la rencontre des trois clubs taurins parisiens dans une soirée qui a réuni 200 personnes.
Tertulias a rencontré les animateurs (Olivier, Jérome et Benjamin) de l’une d’entre elles, Culturaficion qui se définit comme l’Ecole Taurine de Paris. Partons pour ce voyage en terres « hostiles » même si ne l’oublions pas Paris a eu ses arènes. En effet les Arènes de Lutèce (découvertes lors de fouilles en 1869) sont après l’Obélisque de la Concorde, le plus vieux monument de la capitale. Leur capacité était de 17 000 places, les dimensions du « Ruedo » étaient de 53 mètres sur 47. Quelques spectacles taurins s’y déroulèrent, mais elles furent surtout employées comme théâtre. Le dernier fut une course landaise dans les années 60.
Tertulias : « Pourriez-vous nous présenter Culturaficion? »
Culturaficion : « Elle a été créée en 97 par Vincent Blondeau-Goyens, un aficionado parisien qui est notre président. L’association propose des rencontres avec des personnalités de la tauromachie mais surtout des cours de toreo de salón à Paris, en région parisienne. Notre nombre oscille entre 30 et 40 adhérents. Il y deux ans, nous nous sommes retrouvés tous les trois, dans une arène, puis à Paris dans l’association. Nous avons essayé d’apporter du sang nouveau, cela a plu au président, et à Philippe autre membre fondateur, au point qu’ils nous ont fait confiance et nous donnent carte blanche pour faire vivre Culturaficion.
Pour redynamiser l’association, on s’est proposé de rythmer l’année avec les journées au campo des practicos de Paris. Si nous sommes des practicos, nous sommes avant tout des aficionados passionnés. On se prodigue des conseils entre nous, nous regardons énormément de vidéos. L’an dernier, nous avons pris des cours avec Denis Loré pour améliorer notre technique.
La finalité de tout ça, est de conduire tous les membres de l’association qui pratiquent à la journée au campo qui sera la 2ème du genre. Elle aura lieu le 7 avril à la Ganaderia Fernay. Nous pourrons mettre en œuvre ce que nous avons appris depuis des mois. C’est aussi une occasion en organisant une journée au campo, de faire venir des non-initiés de nos amis à la corrida. En les amenant dans les élevages de toros, nous leur montrons que notre culture n’est pas une culture de sanguinaires comme certains veulent le véhiculer dans les médias. Pour cette journée, nous sommes une quinzaine de Culturaficion, mais s’y ajoutent de nombreux amis qui viennent du Nord, du Sud, de l’Est comme de l’Ouest. »
Tertulias : « Comment se passent concrètement ces entraînements ? »
Culturaficion : « C’est planifié en début de semaine. Souvent, ils ont lieu le samedi ou le dimanche matin. On se réunit dans différents lieux de Paris, en extérieur. La première fois où nous l’avons fait, c’était au bois de Vincennes. Vincent, le président, avait l’habitude de communiquer par newsletter et par Facebook. Nous avons eu des visites d’antis. Toute la soirée, ils nous ont espionnés, photographiés, filmés et bien entendu traités d’assassins. Une de nos voitures a eu les quatre pneus crevés. Depuis ce temps-là, vivons heureux, vivons cachés. Il faut trouver la juste mesure entre être visibles et être tranquilles. »
Tertulias : « Quel est le déroulement d’une journée d’entraînement type? »
Culturaficion : « On s’inspire un peu de l‘AFAP dans le Sud-Est. Il y a des gens expérimentés, d’autres moins dont certains sont complètement novices. Les plus expérimentés aident les moins expérimentés. Nous travaillons par binôme. On a des trastos, des cornes pour s’entraîner de manière autonome. On essaie de faire la lidia complète d’un toro. ll y a un côté convivial car certains viennent avec le petit déjeuner. Et ça aussi, c’est important cette convivialité! Nous allons aussi de temps en temps à Caveirac, là où Denis Loré donne ses cours. »
Tertulias : « Quand vous sortez des capes et muletas, comment réagissent les badauds? »
Culturaficion : « Il y a des regards étonnés, des gens qui filment. Neuf fois sur dix, les personnes viennent nous poser des questions. Le plus souvent il y a de la curiosité et de la bienveillance. Bien sûr mais de manière très minoritaire, certaines paroles ne sont pas très sympathiques. Cela nous tient à cœur de faire ce travail de pédagogie. »
Tertulias : « Au delà du côté practico, quelles sont vos activités? »
Culturaficion : « On rythme l’année par une journée au campo et des soirées avec des invités du milieu. On souhaite aussi faire découvrir l’association par l’intermédiaire d’interview décalées sur notre compte Instagram .
À côté de cela, nous avons essayé de rassembler les 3 clubs taurins de Paris. Ensemble, nous avons organisé une soirée de l’Aficion parisienne. Nous avons voulu faire sortir tous les aficionados parisiens du bois. Il ne faut pas croire, mais nous sommes nombreux, mais éparpillés et mal organisés. Nous avons voulu ordonnancer tout ça. Benjamin a fait un énorme travail en janvier. Il a pu montrer qu’à Paris, il y avait une vraie aficion. Elle existe et peut être très utile pour les tous les professionnels puisque nous pouvons être un relais. Tout simplement un relais matériel, puisque nous leur prêtons les appartements quand ils viennent à Paris, nous les accueillons. Quand ils vont venir pour le salon de l’agriculture, nous allons les recevoir chez nous.
Nous sommes aussi un bon relais pour prendre le pouls de ce que pense le béotien qui n’est jamais allé voir une corrida. Les gens non avertis sont curieux, ils nous posent souvent des questions. Pourquoi la mort? Pourquoi vous ne réutilisez pas le toro? C’est tout simple, mais manifestement, les gens ne savent pas le pourquoi des choses. »
Tertulias : « Y a-t-il une synergie entre les différents clubs taurins parisiens? »
Culturaficion : « Il y a deux autres clubs. Le club taurin de Paris est une grosse et ancienne institution. lls sont plus sur une approche scientifique et livresque. Le club date des années 1930. Ernest Hemingway en a fait partie. L’autre club s’appelle le Ruedo Newton. Il était affilié aux clubs Taurins Ricard. Il organisait pas mal de soirées où pas mal de monde venait. Avec l’arrêt du partenariat Ricard, le COVID, l’association a pour l’instant réduit son activité.
Notre approche est plus orientée sur le practico que l’on peut faire avec nos invités, dans une approche que nous souhaitons jeune et dynamique. Si on veut être practicos, on vient chez Culturaficion. Enfin, practico et apéro, même si cela va quelque part de soi. Pour l’anecdote, quand les toreros sont montés à Paris au mois de novembre, même eux se sont dit que grâce à Caron , ils sont arrivés à se réunir, à discuter ensemble. et en plus, en rassemblant les clubs taurins de Paris. On veut que cette synergie continue sans que les clubs se concurrencent. Nous devons montrer que nous sommes présents. Olivier était présent, par exemple ce week-end à Arzacq. Nous avons pu inaugurer la banderole « Paris, ville d’Aficion ». On veut montrer que les Parisiens sont là. »
Tertulias : « Etre parisien et aficionado, n’est-ce pas compliqué? »
Culturaficion : « Même si l’accent a été mis sur le côté culture locale, ruralité pour défendre la corrida, le fait de ne pas être du Sud de la France ne nous empêche pas de comprendre le sens et le pourquoi de la tauromachie. Etre aficionado parisien permet à nos yeux de légitimer la tauromachie et de ne pas la cantonner qu’à une culture du Sud.
L’idée est de faire comprendre aux gens qu’il y a quelque chose à gratter. Gratter, et vous verrez, c’est génial, la tauromachie! Dans les régions du sud, pour la tauromachie, tout le monde a été plus ou moins en contact avec quelqu’un qui aime. Les gens se sont fait une opinion. A Paris, c’est une zone complètement à évangéliser(sic). C’est pour cela par exemple que l’objectif de la journée chez Fernay est d’amener le plus possible de gens qui ne connaissent pas pour prendre un premier contact avec la corrida. Pour eux, c’est une première journée. Il n’ y aura pas de cheval, de piques, de mise à mort, mais comme ensuite nous restons le week-end sur Arles, nous espérons que certains iront voir leur première corrida après cette prise de contact initiale. »
Tertulias : « Comment ressentez-vous, l’attitude des parisiens par rapport à ce que vous faites ? »
Culturaficion : « Par principe, ils ont un jugement négatif. Cependant, il y a clairement un déficit d’information et il y a aussi énormément de curiosité. Ils ont du mal à comprendre pourquoi quelqu’un y voit énormément de sens et aime autant la corrida. Grâce aux explications, on amène à positionner même ceux qui étaient contre, dans une attitude plus neutre par rapport à la corrida. Nous avons amené des collègues de travail aux arènes, 75% vont aimer, 25% ne vont pas aimer. Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’ils ne nous perçoivent pas comme des barbares. Nous faisons passer un message quand même positif par rapport à la corrida. Nous avons amené des gens à Arles le jour de la grâce du toro de la Quinta par Daniel Luque. Même ceux qui n’ont pas aimé au final la corrida, ont ressenti, ont perçu l’importance du moment.
Les gens se posent des questions auxquelles il faut pouvoir répondre. Il y a des basiques qui ne sont pas expressément expliqués. Par le côté fête, féria, comme avec notre fiesta campera chez Fernay, nous avons un vecteur, un outil, un moyen de les amener découvrir, c’est important. Sur la première journée, Ils peuvent échanger avec les professionnels, avec l’éleveur qui explique comment il élève ses toros. En 2022 parmi eux, trois sont devenus mordus. Donc les convertis ça existe et ce ne sont pas des gens d’origine de régions taurines.
Ils se rendent compte que si la feria existe, c’est parce qu’il y a le toro et que la feria est née autour du toro. Il ne faut pas oublier que Paris, c’est le plus grand village de France et qu’il y a énormément de provinciaux à Paris. On nous fait croire qu’à Paris, il y a beaucoup d’anti-corridas, de bobos, qui ne supportent pas la tauromachie. En fait, il y a plus de curieux qui veulent découvrir que d’antis qui veulent anéantir. Les médias donnent beaucoup d’importance aux minorités qui nous enquiquinent. »
Tertulias : « Quelle tranche d’âge touchez-vous? »
Culturaficion : « La plupart du temps, ce sont des personnes qui ont entre 25 et 40 ans. Nous sommes dans l’échange, la transmission, sans être élitiste. On est un peu comme l’AFAP qui va dans les quartiers, dans les banlieues d’Arles, Nîmes. Nous sommes un point d’entrée, pour des gens qui ne sont pas déjà à un certain niveau de compréhension, de connaissances de la chose taurine. Quand nous allons aux arènes, souvent, on se rend compte qu’il y a des novices qui posent des questions et les gens les regardent avec l’œil un peu supérieur. Répondons à leurs questions sans condescendance. Expliquons-leur les choses pour qu’ils comprennent et qu’ Ils finissent par revenir aux arènes. En touchant cette tranche 25/40 ans, on leur donne accès à un monde qu’ils connaisent peu, sans cultiver l’entre-soi. »
Tertulias : « A titre personnel comment vous est venue l’Aficion et cette envie de pratiquer? »
Culturaficion : « Jérôme : la première année, où j’ai vu une corrida, quand je suis revenu, entre Pentecôte et les Vendanges pour les ferias de Nîmes, j’ai dû lire au moins 15 livres sur la tauromachie. J’étais assoiffé de littérature taurine. Il fallait que je comprenne. À force de boulimie livresque, on lit, mais on n’a pas tous les éléments pour comprendre. Il y a des choses qu’on comprend mal. Ça reste quand même une culture du courage. Depuis que je pratique, il y a des choses que je perçois mieux dans l’arène. J’ai encore plus de respect pour les toreros.
Autour d’une bête de 600 kilos, il a une multitude de métiers , des concepteurs de costumes jusqu’à la restauration. Il y a des photographes, des écrivains. Cela a commencé par une curiosité, puis maintenant, c’est ce besoin de vivre quelque chose avec les gens. La corrida, c’est le fait de se retrouver tous les week-ends de la Pentecôte à Vic, à Nîmes. Ou bien se retrouver pour notre journée au Campo qui va devenir une tradition. Tout cela fédère un groupe d’amis autour d’une passion. C’est assez incroyable, tout le monde est ensemble, quelles que soient les origines, les idéologies politiques, raciales, etc… Quand je ressors d’une grande corrida, j’ai énormément d’espoir. J’ai l’impression que tout est possible. Le Torero, c’est un héros pour moi.
Olivier : je suis originaire du Sud-Ouest. Je viens d’une famille taurine mais côté course landaise. Je n’ai pas été aux arènes à une corrida avec mes parents ou ma famille, mais seul quand je suis devenu majeur. J’ai fait toutes les férias du Sud-Ouest. Pour le côté practico je ne l’avais jamais ressenti. J’ai rencontré Benjamin et Jérôme. J’ai rejoint l’association. J’y suis allé sans trop savoir dans quoi je mettais les pieds. J’ai beaucoup aimé l’aventure, j’ai beaucoup aimé aussi de ressentir les choses différemment. J’ai compris où était la difficulté, ou du moins j’ai mieux perçu où elle résidait. Je suis rentré un peu plus dans ce qu’il se passe dans le ruedo. Avec Culturaficion, on retrouve aussi un groupe pour échanger. Pratiquer c’est une autre façon d’échanger que de parler des choses qu’on a vues.
Benjamin : la première fois que j’y suis allé, c’est par simple curiosité. J’ai accepté une invitation. Je me souviens m’être dit que d’aller voir mourir un toro dans une arène, ce n’est pas mon truc. Je suis ressorti scotché. C’est un spectacle unique. J’ai eu la chance de tomber sur deux bonnes premières corridas. Je me suis rendu compte que tout ce qu’on nous racontait sur le côté barbare sanguinaire, c’était faux. C’était un tissu de mensonges. Ce que j’ai aimé, et qui m’a amené à y retourner, c’est cette analogie avec la vie et la mort. On y retrouve les épreuves de la vie. J’ai beaucoup aimé aussi la culture vivante autour de la corrida. »
Tertulias : « Pour conclure et revenir sur cette journée au campo, quel est le programme de la journée? »
Culturaficion : « La journée va commencer à 11heures chez Olivier Fernay. Pourquoi 11h? En fait c’est la première heure compatible avec le TGV de 5h45 au départ de Paris. On est obligés de le faire le vendredi puisque sur toutes les matinées de la feria d’Arles, il y a un événement taurin. A 11h15, la tienta commencera. Quatre vaches seront mises à disposition de ceux qui se sont entraînés depuis le début de l’année. Cela se fera sous les conseils de Denis Loré et d’un professionnel qui sera Andy Younes. On prend toujours un torero pour nous aider, placer les vaches et corriger les erreurs et imperfections. Même s’il n’y a pas le cheval, on fait une lidia complète cape et muleta.
À l’issue de la Tienta, il y aura un repas. Ensuite, un toro sera lidié par Andy. Ça nous tenait à coeur de lui proposer cette journée, car c’est un matador avec beaucoup de technique et qui manque au ruedo en plus d’être de la région où va se tenir cette journée. C’est une façon pour nous de lui témoigner toute notre affection et qu’on pense toujours à ce jeune matador. Dans la foulée, nous enchaînerons avec une visite du Campo. Sur la journée, les gens ont pu voir ce qui se passe lors d’une corrida et comment vivent et sont élevés les toros et échanger avec des professionnels. »
Tertulias : « Qui peut venir ? »
Culturaficion : « Nous sommes une association parisienne, mais la fiesta campera est ouverte à tous. S’il y a des locaux qui veulent venir voir des parisiens toréer des vaches, ils sont les bienvenus. De plus, une 5eme vache bonus pourrait être sortie, pour toutes celles et ceux qui souhaitent s’essayer à la muleta. La journée sera ponctuée d’un cocktail déjeunatoire ainsi que la visite du campo.C’est une journée sympathique et géniale. Par contre il est nécessaire de réserver à l’avance pour un problème d’organisation logistique. »
Réservation possible 💻culturaficion.paris@gmail.com ou par MP via Instagram
Propose recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul.