Juliette Fano «c’est un privilège de faire ce métier.»
Juliette Fano « c’est un privilège de faire ce métier. »
Quand on arrive sur le Domaine du Vieux Sulauze, un air de liberté souffle entre les collines et les champs. Depuis cinquante ans, des toros et des vaches de race espagnole naissent et grandissent dans ces paysage aux grand espaces. Pourtant pour les Fano, l’élevage n’a pas été un long fleuve tranquille. Tertulias a rencontré Juliette Fano qui nous raconte l’hisoire des toros à la devise violette, blanche et verte.
Tertulias : « Quelle est l’histoire de la ganaderia du Vieux Sulauze ? »
Juliette Fano : « L’élevage du Vieux Sulauze a été créé en 1973 par Laurent Fano mon beau père. Oenologue, né à Paris, il a créé le domaine Viticole du Vieux Sulauze. Au départ il a mis des toros sur l’exploitation dans un souci de débroussaillage et d’entretien des 500 hectares de collines qui font la propriété avec les 100 hectares de prairies et la cinquantaine de vignes. Sur les conseils de Marcel Mailhan, il a acheté des vaches de race espagnole. Etant parisien, sans lien avec le milieu taurin, il a acheté des vaches à François André, Yonnet et d’autres ganaderos locaux.
Il s’est piqué au jeu de la tauromachie et tant qu’à avoir des vaches il a créé un vrai élevage. La ganaderia du Vieux Sulauze est née avec un apport de vaches de Jaral de la Mira et deux sementales d’origine Domecq. Christophe, son fils, s’y est intéressé et le fer est vraiment né dans la fin des années 70. Ils se sont passionnés et ont voulu faire les choses au mieux. Dans les années 90, avec Christophe mon mari, nous avons pris le relais de Laurent.
Tertulias : « Et celle du fer en propre de Fano ? »
En 1991, nous avons acheté du bétail d’un autre encaste. Il s’agit des Murube de Maria del Pilar Lezcano Delgado la veuve d’Antonio Ordoñez. Ces Murube nous les avons gardés presque 25 ans. Nous avons pris la décision de nous en séparer il y a deux ans. Nous ne vendions plus de toros. Le contexte économique et taurin nous a obligé à faire des choix dans l’élevage. Je l’ai fait la mort dans l’âme car j’aimais cet encaste même s’il est compliqué à mener pour les lidier à pied. J’aurais aimé avoir le temps de trouver une solution.
J’ai fait le tour de tous les éleveurs qui possédaient des vaches de l’encaste pour trouver preneurs mais le contexte était compliqué. J’ai dû les envoyer au matadero sauf les vingt cinq dernières vaches à tienter. C’est Paola Martin, jeune passionnée par cet encaste, qui les a prises pour créer dans le Sud-Ouest au pays basque à Arraute Charrite, la ganaderia Las Rosas.
Avant l’arrivée des Murube, les toros du Vieux Sulauze sortaient beaucoup dans le Sud-ouest. L’amitié de mon beau père avec Olivier Marrtin qui à l’époque était empresa de beaucoup d’arènes a permis de sortir en non piquée mais aussi en piquée. Un lot est même sorti en Espagne en novillada piquée à Sepuvelda. »
Tertulias : « Qu’est-ce qui vous a poussés avec Christophe à choisir l’encaste Murube? »
Juliette Fano : « Antonio Ordoñez est le parrain d’un des enfants d’Olivier Martin. Au décès du maestro, sa veuve s’est retrouvée à la tête d’un monton de vaches et ne s’en est pas trop occupé. C’est par son intermédiaire que nous avons su que se vendait ce fer de généalogie extraordinaire. Nous avons acheté toute la camada, du veau au semental. Des camions entiers de Murube arrivaient à Sulauze. A l’époque, le fer sortait pas mal à pied dans le Sud-Ouest. D’ailleurs quand on l’a acheté, une novillada sortie à Garlin avec El Fandi, Sébastien Castella et Juan Bautista était programmée. C’est pour cela qu’avec Christophe , nous nous sommes lancés dans l’aventure de la ganaderia Fano.
Malheureusement, on a déchanté car une fois arrivés en France, les toros n’ont plus été programmés. Le problème de faiblesse qui jusqu’alors n’avait « choqué » personne est devenu un vrai problème. Cela ne nous a pas découragé et nous nous sommes dit que nous allions travailler les toros de cet encaste. Nous sommes beaucoup sortis à cheval car nous étions les seuls Français à avoir du Murube, très bon pour le rejon. A Bayonne, par exemple, nous avons présenté une très belle course avec huit oreilles et une queue. On pensait que c’était arrivé! Et bien non, même si les toros étaient intéressants pour le rejon, nous n’étions pas répétés.
Les figuras, qui remplissaient les arènes, voulaient du Murube, du Capea qui ont les mêmes origines que les nôtres. Tous venaient s’entraîner à cheval chez nous mais aucun ne nous aidait pas à mettre un lot quelque part. Nous avions 150 ans de généalogie et le fruit de l’excellente sélection faite par Antonio Ordoñez, une très bonne race même s’il y a ce problème de faiblesse et de transmission propre au Murube quand on les sort pour la corrida à pied. »
Tertulias : « Qu’est-ce que cela fait de voir partir au matadero une partie de ton élevage ? »
Juliette Fano : « J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. C’est vigt-cinq ans de travail qui ont disparu. J’ai tout essayé, pour les vendre vivantes. J’ai tapé à toutes les portes que ce soit en Espagne et même au Mexique, en Amérique du Sud. Je n’y suis pas arrivée, cela a été très dur. Quand Paola m’a dit qu’elle voulait bien m’en prendre, j’ai été contente. J’espère qu’elle aura de bons résultats et que l’aventure Murube en France, continuera un peu.
En parallèle, nous continuions à mener le Vieux Sulauze. Nous avons diminué le voilure. Quand j’arrive à vendre un ou deux lots par an c’est une bonne année. A la grande époque, nous avions 300 vaches. Nous étions programmés dans les petites arènes, il se faisait beaucoup plus de journées champêtres. Mais la « danseuse » finit par coûter cher, il a fallu diminuer. Il nous reste aujourd’hui 65 vaches du fer du Vieux Sulauze. On essaie de faire deux lots par an, de continuer à vivre cette passion qui est dévorante. J’essaie d’équilibrer économiquement et que cela ne nous coûte pas d’argent . »
Tertulias : « Quelle est l’ambition de la ganaderia , sortir en novilladas non piquées, piquées ou corridas ? »
Juliette Fano : « Aujourd’hui, j’assure mes arrières en sortant en novilladas piquées et non piquées. J’aimerais pouvoir sortir en corrida. En France, vendre un lot de toros quand on n’a pas la renommée de certains éleveurs comme Margé, Yonnet c’est compliqué! Je ne peux pas garder un lot pour juste une éventuelle possibilite. Bien sûr sii quelqu’un me dit de lui réserver une corrida, je le ferai. Mais j’ai trop été victime de promesses non tenues.
Ce n’est pas un manque de prétention mais je n’ai pas les moyens financiers garder un lot de toros qui me resterait sur les bras. j’ai le débouché de la vente de viande à la ganaderia pour amortir l’impact financier, mais mon but c’est de voir mes toros dans une arène par sur un étal. »
Tertulias : « Quelles sont les origines actuelles sur le Vieux Sulauze ? »
Juliette Fano : « J’ai un semental de Domingo Hernandez. J’ai essentiellement du Domecq. Il ne reste que peu de vaches de la ganaderia d’origine de mon beau père. Il y a six ou sept ans, j’ai eu l’opportunité d’acheter à Pascal Mailhan un lot de reproductrices qui sont un savant mélange concocté par Pascal. Quand on a des animaux de race pure, les produits sont souvent fades. Par contre quand on a la bonne cuisine avec ce qu’il faut d’assaisonnement , cela sort bien plus intéressant. Il est clair que c’est plus exigeant. L’an dernier la novillada de Tarascon dans des arènes avec une configuration particulière a demandé les papiers. C’est mieux sorti à Saint Gilles dans des arènes plus grandes. »
Tertulias : « Que recherches-tu comme type de toro ? »
Juliette Fano : « Bien sûr; le toro idéal, on le cherche tous beau, brave et noble. Ce que veux surtout c’est un toro qui ait de la transmission. Avec les Murube, le toro était bon mais sans transmission. Je souhaite que le public soit heureux car c’est lui qui va aux arènes et nous fait vivre. S’il n’y a plus que des toros bons au troisième tiers, c’est scier la branche sur laquelle on est assis.
C’est joli une longue faena à un toro qui mange le sable…mais c’est mieux s’il y a le petit truc qui fait que le torero se dit ,que le bicho n’est pas complètement idiot et qu’il faut que je fasse attention. Je cherche un toro exigeant sans trop l’être. et Je pense que c’est ce que nous recherchons tous. »
Tertulias : « Comment sélectionnes-tu tes reproducteurs et reproductrices ? »
Juliette Fano : « Je pense que le premier tiers est important. Je tiente les vaches à trois ans car pour moi c’est l’âge où elles ont leur morphologie et leur caractère définitif. Avant ce sont en quelque sorte des bébés devant lesquels un bon torero va, par son expérience et son savoir faire, finir par me cacher ses défauts. J’essaie de la faire aller quatre ou cinq fois à la pique . Même si c’est en partant de près pour la dernière, c’est une marque de bravoure de la vache qu’elle va garder jusqu’à la fin de la lidia.
Le nombre et la manière de venir au cheval sont importants. Dès l’entrée en piste, si elle va au contact cheval, c’est bon signe. Je fais donner la première pique de près puis j’éloigne la vache du cheval pour les suivantes. Si elle y retourne malgré la douleur, c’est qu’elle a en elle l’instict du combat. Peut-être que le troisième tiers en sera pénalisé, mais pour moi le combat tu ne le mènes pas juste avec une muleta en mettant la tête la plus basse possible.
Courir la tête en bas, c’est dur pour et éprouvant pour un toro et une vache. C’est pour cela que le problème de faiblesse avec les Murube était masqué par le fait qu’au rejon, les toros courent la tête haute. Si l’épreuve de la pique montre que la vache est brave, elle s’investira à la muleta. »
Tertulias : « Combien de vaches gardes-tu chaque année ? »
Juliette Fano : « Je tiente une quinzaine de vaches par an. L’an dernier j’en ai gardé cinq. Je vais attendre de voir leurs produits. Elles peuvent être bonnes en tienta mais vont-elles transmettre leurs qualités à leur descendance? Celles que j’ai gardées l’an dernier, elles feront un veau que je vais voir dans trois ans. Si leurs deux premiers produits n’ont pas les qualités que j’ai vues en elles, je les garde pas. Je fais le choix définitif quand la vache a 8 ou 9 ans. Au final des vaches que tu gardes sur la durée, il doit y en avoir deux ou trois sur quinze.
La ganaderia est jeune mais elle bénéficie du travail de sélection fait en amont par Pascal. Les vaches qui viennent de chez lui et qui ont dix à douze ans, je les garde et les bichonne. »
Tertulias : « As-tu déjà fixé des familles ? »
Juliette Fano : « Oui, je commence à pouvoir travailler sur des familles. On commence à avoir trois ou quatre bases. J’espère pouvoir continuer cet élevage grâce à cela. C’est ce qui le rend passionnant. A Saint Sever quand tu as ton tnovillo qui sort en piste, même si ce n’est qu’une non piquée, je me dis intérieurement « montre lui que je ne me suis pas trompé sur toi, ton père et ta mère. Prouve-le-moi. ». Je me fais aider d’une de mes filles qui est vétérinaire pour pouvoir continuer ce travail de sélection qui est tellement passionnant. »
Tertulias : « Sur quels critères constitue-t-on une famille ? »
Juliette Fano : « On la constitue par la mère qui a été gardée. Lors de la tienta, j’ai mon cahier où j’ai pris les notes sur le comportement de la mère et la grand-mère; d’une sœur. Je priorise ce que je veux voir des membres de cette famille. Et quand dans la troisième ou quatrième génération ressort des caractéristiques communes à la famille, c’est que j’ai fixé des caractères et que le travail de sélection a porté ses fruits. »
Tertulias : « Qu’apporte le semental ? »
Juliette Fano : « On dit que le toro amène le physique et la vache le caractère. Les sementales que j’ai eu, ont été tientés en amont. Le dernier de Domingo Hernandez a bien lié avec mes vaches. Il n’a pas fait partir les qualités et caractéristiques fixées chez elles. J’ai un autre semental sur les filles du Domingo Hernandez qui est intéressant. Il ne va peut-être pas fixé les mêmes choses mais il m’apporte des choses positives. Même s’il a un peu d’âge, il a encore ses preuves à faire mais il est intéressant.
J’ai aussi un autre semental tienté pat Pierre Mailhan que je mets sur les filles du Domingo Hernandez. Je lui ferai tienter tous les produits de ce toro. De ses filles on en a gardé deux . Le comportement du semental dans le campo est important , c’est un indicateur de noblesse. Quand on a un semental calme, que l’on déplace facilement c’est un signe positif. J’ai la chance d’avoir des cabestros. On travaille les toros à cheval, et on identifie plus facilement leur comportement. Le toro qui pose problème au campo, ne sera pas bon en piste. Quand je tiente ceux que je n’ai pas vendus, cela se vérifie. »
Tertulias : « Quels ont été les grands moments de la ganaderia ? »
Juliette Fano : « Pour commencer et en premier tous les jours où je suis auprès des toros! C’est un privilège de faire ce métier.
Avec mes Murube, cela a été la corrida de Bayonne, il y a treize ans. La corrida de rejon a été très intéressante. En Espagne, il y a eu Ejea de los Caballeros avec un lot que Pablo Hermoso de Mendoza m’a acheté pour le toréer en 2009. Pour le Vieux Sulauze, j’ai un bon souvenir de la non piquée de Istres, il y a cinq ou six ans. C’étaient les premiers produits du Domingo Hernandez.
Le novillo de Saint Gilles, l’an dernier en piquée m’a beaucoup plu. Il avait des qualités profondes que le torero n’a pas vu tout de suite mais personnellement j’étais très contente de cet animal.
Pour finir, même si je ne l’ai pas vécu, mais mon beau père m’en parle toujours avec un grand sourire, c’est la course qu’il a lidiée en Espagne. Franchir la frontière, c’était déjà en soi quelque chose de marquant, dont il me parle toujours avec les yeux qui pétillent.
Après, j’en ai connu de très bons en privé avec deux grands tentaderos. J’étais fière d’avoir pu sortir des vaches de ce niveau. Les planètes étaient alignées ce jour là et validaient le résultat de notre travail. »
Tertulias : « Quelle est ton analyse de la course de Saint Sever (ndlr : dernière sortie en date de l’élevage en octobre) ? »
Juliette Fano : « Je suis contente en particulier du dernier qui est tombé sur Tomas Bastos. Il a tout d’un grand du haut de ses 16 ans. Les trois premiers n’allaient pas forcément au bout de leurs intentions. Il y a eu un problème d’eau, qui a fait qu’ils n’ont pas bu à leur arrivée dans les corrales avec les fortes chaleurs. Il y avait aussi, peut-être devant moins de maîtrise que n’en a Tomas Bastos.
Je suis globalement contente, même si certains détails nous ont déçu. J’aurai aimé voir plus de qualités sur le troisième. Le novillo est resté sur la réserve. Le quatrième, à un moment je me suis dit c’est un toro de vaches. J’allais demander à le garder mais Il ne s’est pas livré, malgré sa grande noblesse , jusqu’au bout. Et puis on ne l’avait pas vu à la pique, et à la fin il a fait deux ou trois choses qui m’ont moins plu.
La musique (ndlr : le deuxième mouvement du Concerto d’Aranjuez) a contribué à l’émotion ressentie lors de la faena de Bastos. La tauromachie est intéressante aussi pour cela. C’est le résultat de plein de choses. Je reste persuadée qu’on vit de grands moments si les toros sont embarqués et emmenés jusque dans les corrales correctement, qu’ils sont sans dans un endroit où ils se sentent bien, si le soleil est là, la musique et le torero sont à la hauteur. »
Tertulias : « Après Juliette Fano, qui prendra la relève ?»
Juliette Fano : « La transmission c’est un peu le problème. J’ai deux filles. Pour l’une, même si elle travaille avec nous, la tauromachie, ce n’est pas son truc. Elle travaille sur l’exploitation surtout pour la partie événementielle et la comptabilité. La seconde, Caroline, est vétérinaire spécialisée dans les chevaux de course. J’espère qu’elle m’aidera en venant de temps en temps, en continuant à m’aider dans les sélections.
Je suis mamie depuis un an et j’espère que j’arriverai à passionner mon petit Louis et, en faire un ganadero. Je mise sur mes petits-enfants (sourires). Et s’ils ne sont pas passionnés, ce que je pourrai comprendre, je préfère ne pas y penser pour le moment! On se reverra pour en reparler dans vingt ans!!»
Le reportage photos de Philippe Latour ⤵️
Propos recueillis par Thierry Reboul et Philippe Latour
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