Les toros d’encaste Nuñez
On va retrouver pour la seconde année consécutive, les Alcurrucen à Captieux. Cette ganaderia est d’encaste Nuñez. Cet encaste, parfois controversé, est un des piliers de la Cabaña Brava actuelle.
L’histoire de l’encaste Nuñez
Les origines
Don Manuel Valladares y Ordóñez, décède en 1893. Ses héritiers agrandissent sa ganaderia avec du bétail de Benjumea et Carvajal, et l’annoncent Valladares y Rincón. Vers 1908, Don Manuel Rincón prend en main l’exploitation de l’élevage. Il élimine tout le bétail et le remplace par des vaches et des étalons de Don Fernando Parladé. En 1925, le fer est acquis par Don Antonio Urquijo, qui le revend en 1928 à Don Indalecio García Mateo.
La guerre civile fait beaucoup de dégâts dans les élevages de toros braves. Située à Casablanca, la ganaderia Indalecio Garcia Moreno est décimée. Il ne reste plus qu’une centaine de bêtes quand Carlos Nuñez la rachète et la rapatrie à Los Derramaderos.
La création de l’encaste
En 1940, il agrandit le troupeau en achetant des vaches et étalons de Ramon Mora Figueroa d’origine Gamero Civico et Parladé. L’année suivante le Marquis de Vilamarta décède et Carlos Nuñez rachète la part d’une de ses filles Conception Davila Garvey. Carlos Nuñez, comme Atanasio Fernandez, est un alchimiste. Il bénéficie de vaches et de sementales d’origine Rincon, Vilamarta, Parladé, Gameiro Civico. En ganadero de génie, il va mêler, sélectionner les différentes origines et constituer ce qui va devenir l’encaste Nuñez. A partir de cette base de très bonne qualité, il instille du Tamaron Parladé dans les gènes des Vilamarta et des Rincon créant deux rames. La première, Vilamarta (1/3 du bétail), est constitué de bêtes fines, hautes, longue armées, vives avec des cornes blanches. La seconde, Rincon, produit des toros plus bas, agréables, et collaborateurs.
Les premiers succès.
La nouvelle ganaderia remporte ses premiers succès avec les toros d’origine Rincon en 1940 à Séville où un novillo fait la vuelta, Andaluz coupe une queue. En 1943 nouveau triomphe à Bilbao, deux toros font la vuelta. A partir de 1944, ce sont les produits des mélanges réalisés par Carlos Nuñez qui sont lidiés. Dès lors, le ganadero enchaîne les succès. Un toro fait le tour de piste pour la présentation à Madrid des Nuñez. Camara, l’apoderado de Manolete, est un ami du ganadero. Le torero de Cordoue torée souvent les produits de Los Derramaderos. Triomphe majuscule à Madrid en 1946 pour la Bénéficienca, Manolete, Ordoñez et Dominguin sortent à hombros. Carlos Nuñez ne nie pas produire un toro commercial. Pour lui l’époque est aux toreros, pas aux toros. Atanasio Fernandez tenait à la même époque le même discours.
Les grandes années.
A Séville, Madrid, Aranjuez les figuras triomphent face aux Carlos Nuñez. En 1950, Aparicio et Litri, alors novilleros, toréent six fois en mano à mano les produits de la ganaderia. Camara, fan des Vilamarta, devient fan des Rincon. On peut dire qu’à partir de ce moment, Nuñez devient un encaste à part entière. Manolo Vasquez, Ordoñez, Dominguin, Chicuelo et autres toreros punteros toréent et triomphent avec les Nuñez. Les propriétaires des autres ganaderias commencent à frapper aux portes de Los Derramaderos pour acheter des reproducteurs et reproductrices. Alvaro Domecq qui vient d’acheter des Veragua est un de ceux-là. Le semental Lancero sera à l’origine de la ganaderia d’Alvaro. Prêté à Salvador et Juan Pedro, il le sera également des autres fers de la famille Domecq. Entre temps un semental rejoint la ganaderia de Camacho. Jusqu’en 1958, les succès s’enchaînent.
Le genio fait son apparition
En 1958 et 1959, Antonio Ordoñez est blessé à deux reprises par des toros de son ami Carlos. Le Nuñez est un toro bonito, pas très volumineux mais il est vif et a de plus en plus de genio. Il est concurrencé à l’époque par des toros bien plus « tauromachiquement corrects » comme les Atanasio et Juan Pedro Domecq. Chez ce dernier, c’est Lancero qui a adouci l’âpreté issue des Nuñez et des Parladé.
1960 est une année mi-figue mi-raisin. Malgré cela de nouveaux ganaderos veulent acheter du Nuñez. Ganadero de seconde, Cebada Gago a a déjà chez lui depuis la fin des années cinquante du desecho d’origine Nuñez. Il récupère un étalon Fiscal qui a voyagé de ganaderias en ganadérias. Ce semental, puis son fils Ajustador donneront les caractéristiques actuelles cette ganaderia. On retrouve également la filiation de ces deux reproducteurs chez Torrealta, Santiago Domecq et Cuvillo. Un des petits-fils de Fisqual tuera El Yiyo à Colmenar Viejo.
Les années Cordobès.
En 1962, Manolo Vasquez est blessé par un Nuñez. Les matadors doutent. Ordoñez ne veut plus les toréer. Pourtant El Cordobès coupe, le 20 avril 1964 , deux oreilles et la queue dans les arènes de Séville à Bancalero (mère Rincon, père Vilamarta). Le cordouan déclare aimer ces toros qui sont vifs et qui répète jusqu’au bout quand ils ont rompu. Ce sera le dernier triomphe pour Carlos Nuñez qui décède quelques jours après. Il laisse à ses descendants 950 vaches de ventre toujours dans le rapport initial: 1/3 Vilamarta, 2/3 Rincon.
Les premières dissensions
Son fils Carlos prend la direction des affaires. Dans la foulée du Cordobès, les Nuñez sont un encaste à la mode. Le cordouan, Antonio Bienvenida et même Ordonez triomphent avec eux. En juillet1966, Antoñete coupent quatre oreilles et Curro Romero deux à Las Ventas. La ganaderia vend beaucoup de toros pour les arènes mais aussi de reproducteurs et reproductrices fort prisés des autres ganaderos. Le fondateur avait l’habitude de vendre surtout du desecho, les fils vendent aussi des vaches bien notées. La ganaderia devient une sorte de centre commercial et la quantité est privilégiée. Cette évolution ne convient pas à Marcos,un des frères, qui prend son indépendance. Il crée sa propre ganaderia qu’il nomme Churriana.
Tout le monde veut du Nuñez !
Pour ses frères, c’est toujours l’euphorie. Les triomphes continuent. Les figuras réclament les Nuñez En 1968 la ganaderia vend quatre vingts toros et novillos . Dans les années soixante-dix ce sont les Manzanares, Dominguin, Campuzano, Galloso et Paquirri qui les font briller (et brillent grâce à eux). C’est face à eux que Espartaco, Muñoz et Ojeda prennent leur alternative. Nombreuses sont les ganaderias qui achètent des reproducteurs à la famille Nuñez. L’ancien matador Manolo Gonzalès dépense une fortune pour acheter la moitié de la ganaderia. Le succès est immédiatement au rendez-vous pour le nouveau ganadero.
S’adapter ou pas ?
Madrid est de plus en plus exigeante sur le volume des toros lidiés à Las Ventas. Une partie des frères Nuñez veulent faire évoluer leur bétail pour satisfaire à la nouvelle mode (ou diktat madrilène). Carlos n’y croit pas. Il a peur de perdre les caractéristiques de son encaste en modifiant la morphologie de ses produits. Il n’apprécie pas non plus de voir partir autant de vaches de qualité dans d’autres élevages. En 1985 Carlos prend son indépendance en créant sa propre ganaderia près de Tarifa.
Les derniers jours de la ganaderia Carlos Nuñez.
Carlos emmène avec lui tout son savoir et ses compétences. Ce départ sera fatal à la ganaderia de Los Derramaderos. En 1995, la corrida de Dax, à l’exception du dernier sort âpre. Le drame de Colmenar Viejo marque les esprits. José, Juan, José Luis se succèdent aux commandes sans arriver à redresser la barre. Les toros sortent mansos, tombent. En 2011 José Luis et son fils se tuent dans un accident de la route. Il n’y a personne pour prendre le relais. Sa veuve vend les cent vaches restantes au Marquis de Quintanar, se débarasse de la Finca mais conserve le fer historique de Rincon.
Dans la foulée, à la mort de Manolo Gonzales, l’élevage de l’ancien matador se retouve morcelé entre ses huit descendants et disparait des radars.
L’histoire continue
Ainsi se termine l’histoire de la ganaderia Carlos Nuñez. Heureusement, comme pour les Atanasio, ce n’est pas la fin de l’encaste. On retrouve ce sang dans de nombreux élevages, témoins les toros entrepelados (poils blancs entremêlés sur fond obscur) que l’on retrouve chez Jandilla et Fuente Ymbro. A ceux-là s’ajoutent les Nunez-Domecq de Cebada Gago et Torrestrella, et les ganaderias qui en dérivent.
D’autres élevages se revendiquent encore aujourd’hui de l’encaste Nuñez. Depuis 1985, la famille de Carlos Nuñez Moreno de Guerra conserve le patrimoine génétique dans la ganaderia propriété des frères Nuñez des Allimes.
Les Alcurrucen , Nuñez du 21ème siècle !
Aujourd’hui l’avenir de l’encaste repose sur les frères Lozano et leur ganaderia Alcurrucen (et ses succursales).
L’élevage, créé par Juan Sánchez Taberno en 1950 avec du bétail de Lorenzo Rodriguez, est vendu en 1967 par sa fille aux frères Lozano, ex-toreros et hommes d’affaires taurins. Ils éliminent les reproducteurs et reproductrices. Ils les remplacent par du bétail d’Eusebia Galache. Après un essai avec du Graciliano, en 1969, les Lozano achètent den 1982, des vaches à Carlos Nuñez. Les premiers sementales sont prêtés par la maison mère. Très vite la ganaderia grandit jusqu’à atteindre 1000 vaches. Elle est présente dans toutes les grandes férias avec, malgré une certaine irrégularité, des succès retentissants. Les frères Lozano ont décidé de privilégier la rame Rincon au détriment de Vilamarta. Ils ont réparti leur bétail en trois élevages Alcurrucen, Lozano Hermanos et El Cortijillo.
Les Nuñez en France .
On va trouver en France des toros d’encaste Nuñez chez Alain Tardieu. Ils sont le fruit d’un apport réalisé par le ganadero avec du bétail de José Luis Pereda. Deux autres élevages français ont des rames d’origine Nuñez-Domecq par Cebada Gago. Il s’agit des ganaderias Margé et du Lartet.
Synthèse
L’encaste Nuñez est loin d’être minoritaire. On la retrouve dans 86 ganaderias regroupant 6600 vaches et 340 sementales.
Caractéristiques morphologiques principales.
- Toros bas, ils sont petits avec un poitrail large et profond
- Ils sont astifinos, bien armés et cornialtos
- Les robes sont noires, coloradas et tostadas
- Leur profil est concave , museau large, yeux grands et vifs
- Le morillo est marqué, le cou long, la ligne dorsale droite ou légèrement pliée.
Comportement en piste.
Premier tiers
- Distraits à leur sortie en piste
- Justes de bravoure et de forces, le premier tercio doit être « mesuré »
Second tiers
- Rematent peu aux planches
- Il faut les économiser car ils sont souvent justes de forces
Troisième tiers
- « Susceptibles », il ne faut pas les contraindre à la muleta, sinon ils se rebellent, se mettent sur la défensive. La lidia devient alors compliquée.
- Fixes sur le leurre, ils répètent en humiliant.
- La capacité à répéter est très marquée dans cet encaste.
- La provenance Rincon est plus régulière que l’origine Villamarta
Faits et toros marquants de l’histoire de l’encaste.
- Juin 1918, prise d’ancienneté à Madrid de Carlos Nuñez
- Années 195, les sementales ,Lancero et Fiscal de Carlos Nuñez contribuent fortement à l’évolution d’élevages prestigieux comme JP Domecq, Alvaro Domecq, Cebada Gago.
- Juillet 1966, Las Ventas, Antoñete coupe quatre oreilles, Curro Romero deux à un lot de Carlos Nuñez
- 21 mai 1983, Emilio Muñoz et Paco Ojeda triomphent devant une sérieuse corrida de Manolo Gonzales et Sanchez Dalp
- 30 août 1985 Burlero de Marcos Nuñez tue El Yiyo
- Barquilto combattu à Malaga par El Niño de la Capea le 18 août 1984. Sa dépouille a fait un tour de piste. Le torero a reçu deux oreilles et la queue.
- 2011 vente de la ganaderia Carlos Nuñez au Marquis de Quintanar
- Alcurrucen remarquables
- Gaitero à Madrid le 27 mai 1997 par Litri (Miguel Báez Spínola) a reçu le prix de la mairie de Madrid au taureau le plus brave de la San Isidro.
- Avec Herrerito Manzanares (José María Dolls Abellán) a reçu le prix de la meilleure faena de la feria à Séville le 23 avril 1992.
- Jabatillo, marqué avec le numéro 134, combattu à Madrid par Sébastien Castella le 27 mai 2015 a reçu le prix du meilleur taureau de la Feria de San Isidro 2015. Le torero a reçu les deux oreilles.
- Malagueño, marqué avec le numéro 1, combattu à Madrid par David Mora le 24 mai 2016 a reçu le prix du meilleur taureau de la Feria de San Isidro 2016. Le torero a reçu les deux oreilles.
- Barberillo, marqué avec le numéro 127, combattu à Madrid par Ginés Marín le 25 mai 2015 est considéré comme le meilleur exemplaire de la première moitié de la Feria de San Isidro 2017. Le torero a reçu les deux oreilles.
Principales ganaderias de l’encaste en Espagne.
- Alcurrucen , Hermanos Lozano et El Cortijillo.
- José Luis Pereda
- La Dehesilla
- El Retamar
- Alejandro Vasquez y Sanchez
- Sanchez Rico de Terrones
Principales ganaderias de l’encaste en France.
- Alain Tardieu
Sources : www.terresdetoros.fr, Corps des Présidents et Alguaciles de corridas, Terres Taurines, Chaine You Tube « Les Encastes »