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Madrid, Madrid me pongo triste

Madrid, Madrid me pongo triste. Réflexions sur trois jours à Madrid

Lundi 10 juin 8 heures. Le ciel de Madrid a enfin choisi son camp. La pluie tombe drue, la lumière est celle d’une fin de journée d’automne. Depuis vendredi, la météo n’était guère optimiste et tout compte fait, les corridas furent épargnées par une quelconque averse. Trois jours à Madrid pour une balade taurine dont je me réjouissais à l’avance, mais au final trois jours dans cette enceinte austère et majestueuse déceptifs. La plus importante arène du monde, celle qui faisait ou défaisait les carrières est en train de sombrer corps et bien…oui Madrid tu me rends triste aujourd’hui car si tes gradins sont pleins, ce qui se passe en ton sein se vide de sens

Le Public

Le duo Garrido/Casas réussit là où bien d’autres avant eux se sont cassés les dents. Le taux de remplissage s’accroît, les jeunes reviennent sur les gradins, les « no hay billetes » se multiplient. A ce propos, il est toujours étonnant de constater même par jour d’entrée maximale, que tant de gradins de l’andanada restent vides. Il est vrai qu’offrir à 2100 personnes un abono annuel (pour les retraités et moins de 25 ans) connaît un grand succès quand il s’agit d’aller les chercher à la taquilla. De la taquilla aux arènes, le chemin est bien court pourtant beaucoup de bénéficiaIres semblent l’oublier. En attendant pour les autres, le prix du billet n’a jamais été aussi cher.

Le public de Las Ventas a évolué au fil du temps. On y retrouve ce désormais « nouveau public ». Plutôt jeune, peu averti et souvent le verre à la main, il manque d’éducation pas seulement taurine, n’a pas l’exigence de ses prédécesseurs. Peu importe le flacon pourvu que l’on ait l’ivresse. S’il ne faut pas tomber dans le piège d’en faire une généralité car le niveau moyen de connaissance est sûrement bien plus élévé que dans bien des arènes, avide de sensations, c’est un public 2.0 qui réagira bien plus à une cambiada genoux en terre, qu’à une naturelle templée.

Tendido 7

Et puis il y a le Tendido 7. Mal nécessaire ou bien de salut public? Gardien du temple, seul contre-pouvoir à l’ordre établi, il se dit savant. Je le trouve trop caricatural et insupportable. Vouloir à tout prix être un acteur du spectacle n’incite ni à la raisonnable mesure, ni à la lucidité. Les palmas de protestation outrée fusent à tout bout de champ. C’est bien beau de jouer aux trublions, faudrait-il que cela se fasse à propos.

« Hay que picar » est la nouvelle maxime en vogue. Cette année, les piqueros ne furent guère à l’honneur. Pas toujours brillants sur leurs montures, aux ordres de leur maestro ils économisèrent les toros. Demander des piques à la seule fin de voir un toro exsangue perdre les mains pour agiter le mouchoir vert me laisse dubitatif. L’idée sous-jacente de démontrer le manque de caste de la bête à cornes n’est pas idiot en soi. Mais comme dit l’adage chaque toro a sa lidia.

La fracture ouverte avec Roca Rey est patente. Le péruvien n’a certes pas été au meilleur de sa forme et sa tauromachie hétérodoxe n’est pas de celles qui va emporter l’adhésion du puriste. Le condamner avant qu’il ne commence, que quolibets et vociférations dégueulent des tribunes avant toute passe démontre aussi trop peu de respect porté aux toreros. « Le vrai respect consiste à ne pas imposer sa volonté aux autres. » disait Gandhi, une phrase qu’il serait bon de méditer de temps à autre.

Présidence

Faut-il dire qu’il y en a, là haut perchés sur leur balcon qui n’aident pas à apaiser le climat. La rigueur, l’orthodoxie, confinant parfois au jansénisme a longtemps caractérisé les présidences madrilènes. En trois jours, l’image vola en éclats. Présidents à la dérive, aux critères d’attribution de trophées incertains, à la vue peu avisée. Comment un président digne de ce nom a t’il pu juger le vendredi que Borja Jimenez ne méritait pas de couper les deux oreilles de Dulce et n’accorder qu’un pavillon. Avait-il le même poids, la même saveur que ceux accordés à Fernando Adrian le dimanche?

Il fut un temps à Madrid où tout pinchazo ruinait l’espoir de couper ne serait-ce qu’une oreille et ce même au détriment d’une pétition majoritaire, celui-là, les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Et ce n’est pas en accordant une oreille de compensation au même Borja que l’on peut oublier telle incompétence. Le scandale que cela provoqua priva la dépouille de ce Victoriano, de la grandissime ovation qu’à minima il méritait.

En trois jours, moultes toros sont sortis faibles, voire invalides. Pas besoin d’avoir fait des études de vétérinaires pour s’en apercevoir. Par contre pour un président madrilène, il faut attendre la fin de l’épreuve des piques voire des banderilles pour consentir à sortir le mouchoir vert pour peu que le toro mette genoux en terre et décuple l’ire de nos amis du 7. Ridicule que de voir dimanche le 4ème de Garcigrande prendre un galop digne d’un arthritique dès sa sortie dans le ruedo, et devoir être abattu après une faena de deux séries sans que le palco ne juge utile de procéder au changement. Ho les gars, réveillez-vous ou mangez léger à midi pour avoir l’esprit clair, le soir! Ce n’est pas possible d’offrir un tel spectacle de déliquescence.

Toros

Enfin tout cela n’arriverait pas si le défilé de cornus était d’un tout autre calibre. Et là le bât blesse sévère. Ces trois jours furent un résumé peu ou prou de ce que fut ce mois madrilène. La nouvelle équipe de veedores mis à l’oeuvre n’a pas reussi son examen de passage. Des présentations disparates, des fois indignes d’une place de première categorie. Du poids pour certains, des cornes pour d’autres pour tenter de dissimuler un morphotype trop éloigné de l’encaste d’origine.

Toro de Madrid, ça veut dire quoi aujourd’hui? A force de vouloir faire dans la démesure, Madrid s’est perdu en route. Ramage et plumage sont à mettre dans le même sac en 2024. A batir une feria basée sur les vedettes de l’escalafon, Plaza 1 récolte ce qu’elle sème. Bravoure ou noblesse ardente sont des denrées de plus en plus rares. Que venaient faire dans cette galère les Roman Sorando du 8 juin? Tellement vides de tout, que dans un cartel de maestros de la cape, pas un seul lance de capote valable ne fut donné. Pour faire un lot à peine digne de ce nom il fallut aller du quatre ans à peine au presque six ans.

Bref, la litanie pourrait continuer comme cela pendant des heures. Le marketing, la communication c’est bien beau tout ça. C’est le prix à payer pour une réussite économique certainement. Pourtant, dans ce spectacle vivant et anachronique qu’est la corrida, c’est dans l’émotion que réside la vraie réussite. Madrid secoue-toi avant qu’il ne soit trop tard. De la tristesse à la nostalgie, il n’y a qu’un pas à faire ou plutôt à ne plus faire en restant chez soi et devant sa télé à écouter OneToro servir les plats.

Philippe Latour

Une réflexion sur “Madrid, Madrid me pongo triste

  • ça au moins, c’est dit et bien envoyé. Je ne suis pas complètement d’accord concernant le 7, certes parfois pénible, mais qui sert à magnifier certaines faenas et certains gestes selon moi.
    Beñat

Commentaires fermés.

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