Miguel Angel Perera «Je cherche l’imperfection, la liberté de me laisser aller, de donner la priorité au sentiment»
Miguel Angel Perera est un torero puissant. C’est aussi un homme entier et déterminé. Il torée le 9 octobre prochain à la feria d’automne à Madrid pour clore en beauté et en responsabilité une temporada importante. Découverte de cette figura qui a fait le choix de l’indépendance et qui se livre dans l’interview qu’il nous a accordée.
Tertulias : «Pourquoi la tauromachie?»
Miguel Angel Perera :« La tauromachie est ma vie car la vie m’a conduite à elle. Bien que chez moi, il n’y avait aucun antécédent taurin, j’y jouais parfois, petit, à la maison avec mes frères. Mais de la même manière que je jouais au football, par exemple. Mais durant mes études à l’école San José de Villafranca de los Barros, j’ai fait des rencontres qui m’ont ouvert les portes du toreo. Fondamentalement, c’est Baltasar Manzano, un de mes enseignants, un immense aficionado qui en dehors de nos heures de cours nous faisait toréer de salon. Il nous emmenait à des tentaderos, où j’ai eu l’occasion de me tester et d’expérimenter la sensation magique que provoque la bravoure lorsqu’elle vous passe au niveau de la ceinture. Une fois que je l’ai ressentie, je ne voulais plus rien d’autre dans ma vie… »
Tertulias : «Pouvez-vous nous faire un premier bilan de votre temporada, à ce moment ? Quels sont les moments clés de cette grande temporada que vous réalisez ?»
Miguel Angel Perera :« C’est une temporada qui ressemble beaucoup à ce qu’a été ma carrière en général. Depuis le debut, il y a eu cette nécessité de gagner lors de chaque course, le contrat pour la course suivante. On a toujours dit que c’était le prix de l’indépendance et c’est la vérité! Cette année, en plus, j’ai pris la decisión d’autogérer ma carrière et de la mener auprès de David Benegas, mon ami et ma personne de confiance depuis de nombreuses années. Cela a rendu tout plus difficile. Mais ce n’est pas une nouveauté pour moi, j’ai toujours eu besoin d’être bien avec les gens qui m’entourent, de croire en ce que je fais et en où je vais. Le reste, comme toujours, c’est à moi de le régler en piste. En ce sens, je suis heureux car ça a été une année au cours de laquelle j’ai eu l’opportunité de m’affirmer et, surtout, de prendre du plaisir. Une saison qui m’a permis d’assumer de grands défis comme toréer des corridas de Victorino Martín à Castellón et à Sevilla ou les six toros de Badajoz pour célébrer mes 18 ans d’alternative. J’ai vécu des après-midi importantes comme celles de Pampelune et, surtout, Santander où j’ai indulté un grand toro de La Quinta. C’est une temporada où je suis sorti en triomphe dans presque la moitié de mes corridas. Je prends beaucoup de plaisir, je continue à me chercher, à être exigeant avec moi-même, et je vis des moments que j’ai toujours voulu vivre dans des arènes.»
Tertulias : «Cette année, vous avez fait le choix de poursuivre la route au côté de votre ancien valet d’épée en tant qu’apoderado. Pourquoi ce choix ?»
Miguel Angel Perera : «Parce que j’ai compris que c’était le mieux pour moi, à ce moment de ma vie. Comme on l’a évoqué avant, ma philosophie a toujours été celle de l’indépendance. Je ne suis jamais allé vers de grandes maisons d’empresas ou d’apoderados. Une fois ma décision prise de clôre l’étape précédente avec Santiago Ellauri et Pedro Rodríguez Tamayo, j’ai compris que le moment était venu de me gérer seul, et de le faire avec l’aide de David en qui j’ai une entière confiance. J’ai besoin d’avoir avec moi quelqu’un qui sache véritablement ce que je veux à ce stade, quelqu’un qui sache ce que j’apprécie et comment je l’apprécie, qui se batte pour moi, comme je le fais-moi. Ce sont ces nombreuses nuances que j’ai analysées pour prendre cette decision. Au final, si il y a bien une chose qui déclenche des changements dans ma vie, c’est la nécessité d’être honnête et sincère avec moi-même, avec ce que ma tête et mon coeur me dictent. »
Tertulias : «Vous avez été un des grands absents de Madrid lors de la dernière San Isidro. Vous revenez là, au mois d’octobre pour la feria d’Automne. Que s’est-il passé ?»
Miguel Angel Perera : «Et bien, je crois qu’il n’y a pas eu l’intéret approprié pour que je sois présent. La réunion avec mon apoderado a duré très peu de temps. Mais je ne me suis pas plaint bien que, en toute logique, cela m’a fait de la peine. Et je ne le fais toujours pas. Je ne veux pas que qui que ce soit puisse dire que je me plains de situations comme celle-ci. Je continue simplement d’avancer. J’essaie de faire changer les choses dans l’arène, devant le toro et en donnant tout, comme je l’ai toujours fait. Le plus important est que le 9 octobre prochain, je serai de nouveau présent à Madrid, qui est sans doute l’arène la plus importante de ma carrière.»
Tertulias : «Vous fêtez déjà vos 18 ans d’alternative, qui vous ont amené à un niveau de figura du toreo. Qu’est-ce qui vous pousse à continuer? Il vous reste des choses à prouver?»
Miguel Angel Perera : «Absolument! De fait, le jour où je n’aurai plus ça, j’arrêterai. Cela fait partie de ce que je suis et du respect liturgique que j’ai toujours eu pour ma profession. Avant, je disais que ce qui me motivait c’était mon exigence, le fait de toujours me chercher et j’ai toujours quelques objectifs que je n’ai pas atteint, en particulier avec moi-même. Par exemple, j’aimerais être capable de toréer en m’étant délesté de tout carcan, plus précisément des exigences de la profession. Du “lance” parfait, du “muletazo” parfait, du placement parfait, de la faena parfaite… Je cherche l’imperfection, la liberté de me laisser aller, de donner la priorité au sentiment, de m’abandonner en oubliant tout ce qui m’entoure quand je torée. C’est ça que je recherche. C’est pour cela que je regrette tant la première étape, celle de novillero sans picador, quand tu ne sais presque rien et pour autant, tu n’as pas de préjugés. Simplement, tu ressens… »
Tertulias : «Vous connaissez la gloire mais aussi la part la plus dure du toreo. Les toreros sont fait d’un autre bois?»
Miguel Angel Perera :«C’est ce qu’on dit… (rires) Mais je crois surtout que cela fait partie du niveau d’exigence que cette profession te demande. Cela t’amène à modeler ton esprit de façon à te rendre plus fort que la norme…jusqu’à accepter des situations où, soit tu les affrontes avec la nécessité de les surpasser et tu les surpasses, soit tu ne t’y confrontes pas du tout.Tu grandis avec ça, tu te forges, tu assumes ces moments que tu peux être amené à vivre et tu interiorises quand tu sens que cela arrive, quand tu vis ce côté dur du toreo dont tu parles. Quand tu te retrouves seul face à une cornada comme celle que j’ai eu à Salamanque, avec tout ce que cela suppose pendant et après la cornada, tu dois passer au-dessus physiquement et mentalement parce qu’il faut aller de l’avant. Ta tête et ton cœur, bien que cela te coûte et que cela prenne du temps, finissent par dépasser cette frontière qui sépare l’ordinaire de l’extraordinaire.»
Tertulias : «Avez-vous peur?»
Miguel Angel Perera :« Bien sûr! Comme tous les toreros. La peur est inhérente à notre vie, au chemin que l’on a choisi. Je dirais même qu’elle est essentielle pour avancer. Elle fait partie de ce qui nous pousse à continuer. Evidemment, l’expérience te donne du recours ce qui te permet d’avoir davantage de sécurité et de connaissance pour faire face à cette profession. Certains jours, la peur est plus présente, d’autres moins, mais elle est toujours là. Et il faut qu’elle y soit… »
Tertulias : «Comment vous préparez vous à affronter année après année les saisons avec ses kilomètres, les taureaux… ? Comment se passe une journée classique dans la vie de du maestro Miguel Ángel Perera?»
Miguel Angel Perera :« C’est quelque chose qui a évolué au fil des années. La connaissance de ton corps et de ce dont tu as besoin influent. Bien sûr, il y a des moments dans la saison, ceux d’une grande exigence par l’immédiateté des corridas, pour laquelle la préparation est plus intense. Pour moi, le lien avec le campo est fondamental. Je torée beaucoup, chez moi et chez de nombreux ganaderos. C’est une constante, cela a peu changé avec les années. Toréer au campo est une chose que j’adore et qui m’est utile à tous les niveaux. Ces dernières années, j’ai ajouté la boxe à ma préparation. Cela m’a apporté de la souplesse, une plus grande vitesse de réaction et de l’agilité. Une journée classique? Cela dépend du moment de la saison mais, en général, j’ai besoin d’avoir du temps pour l’entrainement, la préparation mais aussi pour être avec ma famille et faire le travail du campo, de la maison. C’est ce que j’aime. »
Tertulias : «On dit que l’on torée comme l’on est. Qui Miguel Ángel Perera? Quelle est sa personnalité ? Son caractère?»
Miguel Angel Perera :« Miguel Ángel Perera est une personne simple et très proche des siens. J’aime être avec eux et faire ce qu’il me plait la majeure partie du temps. Ceux qui me connaissent peu, disent que je suis très sérieux, mais je ne crois pas en être tant que ça… (rires) Je suis plutôt réservé et, c’est vrai, je ne m’ouvre pas facilement à n’importe qui ? Mais je me considere comme un homme très normal. J’aime dire ce que je pense et, surtout, être en phase justement entre ce que je pense et ce que je dis. La franchise n’est pas négociable chez moi. »
Tertulias : «Il y a des toreros qui séparent beaucoup leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Vous faites une différence entre Miguel Ángel Perera le torero et Miguel Ángel Perera l’homme ?»
Miguel Angel Perera :« Mon intimité m’appartient ainsi qu’à mes proches. Chaque fois que la saison me le permet, j’aime me déconnecter de la pression et de l’exigence de cette profession. Mais il est vrai aussi que faire vivre ensemble l’homme et le torero ne me dérange pas. Tout ce qui m’entoure, le lieu où je vis, ce que je fais chaque jour au-delà de toréer, jusqu’à ma femme et sa vocation pour le campo bravo font partie de mon quotidien. C’est ma normalité, ma vie, je n’ai donc pas besoin de séparer le personnel du professionnel. Je consacre un moment à chaque part de moi, j’en ai besoin, mais le toreo est présent dans absolument tout ce que je fais dans mes journées, même quand je ne torée pas »
Tertulias : «Vous venez récemment de triompher à Bayonne. Que représente la France pour vous ?»
Miguel Angel Perera :« Beaucoup. C’est une façon de comprendre, de vivre et de valoriser la tauromachie qui ressemble beaucoup à celle que j’ai. Cette capacité d’analyse qu’a le public français, d’observer avant de juger…d’attendre et de respecter ce qui se passe en piste et de le comprendre, me parait de haut niveau. J’ai vécu au cours de ma carrière des après-midi grandioses en France dans des arènes comme Nimes, Arles, Mont de Marsan, Bayonne, comme tu dis cette année, et également Saint Gilles… Et bien d’autres. Je ressens une connection particulière avec l’aficion française et cela commence par le respect mutuel que nous nous accordons.»
Portrait chinois
- Une couleur: le vert
- Un animal: en plus du taureau, le cheval
- Un sport: la boxe
- Une chanson: “Orobroy”, de David Peña Dorantes
- Una ganadería: Plusieurs. Pour citer quelques incontournables, Garcigrande, Victoriano del Río et La Quinta
- Un torero: Paco Ojeda
- Une passe de capote: La gaonera
- Une passe de muleta: El natural
- Une arène: Madrid
- Un hobbie: El acoso y derribo
Propos recueillis par Fanny
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