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Pampelune, sans toros? Episode 2

Pampelune, sans toros? Episode 2

Petit rappel. Nous avions rencontré peu avant les San Fermines 2024, Cristina Ibarrola et Enrique Maya anciens maires de Pampelune membres de l’UPN parti navarrais pour évoquer la situation et la place de la tauromachie dans la capitale navarraise après qu’une motion de censure victorieuse ait permis à EH-Bildu (parti indépendantiste basque) d’accèder aux affaires à la tête de la ville. Au maire actuel Joseba Asiron connu pour ses convictions anti-taurines, il ne déplairaît pas de voir des San Fermines sans toros et il faut bien le concéder qu’une certaine partie de la population partage ce sentiment. Nos interlocuteurs avaient tenu à affirmer leurs convictions en la matière et affirmer que la Navarre était taurine et le resterait.

Si la France est encore un peu épargnée (jusqu’à quand après l’épisode Caron?) des affres de la politique politicienne sur le sujet taurin, ce n’est pas la cas Espagne où le thème est devenu un enjeu important dans certaines communautés autonomes. Les San Fermines étant passées, le débat était passé presqu’au second plan. Il faut bien dire que la santé du monde et les préoccupations du moment éloignaient sûrement la sphère politique des méandres du bien être animal. Oui mais..le feu n’était pas éteint, les braises sont encore chaudes.

Un sondage, une enquête auprès des pamplonais

En effet, il y a trois semaines, la mairie a annoncé lancer une étude sur les impacts sociaux, économiques et environnementaux des Sanfermines qui sont un élément fondamental de l’offre touristique de la ville. Pour pouvoir les gérer de manière efficace et efficiente, la Mairie de Pampelune va entreprendre, trois études visant à obtenir des informations actualisées et détaillées sur l’impact de ces fêtes et leur influence sur le tourisme dans la ville.

Dans les objectifs spécifiques du plan de développement touristique de la ville (PSTD Pampelune SF365), ceux qui visent à rendre dixit « les Sanfermines plus durables et à améliorer leur image à l’international »! Ces objectifs passent par une réorientation des fêtes vers des valeurs culturelles et durables, et par un repositionnement de la marque Sanfermines, et par conséquent de la ville.

Subrepticement, il est question de toros

On vous passe les détails de cette enquête qui compte trois parties distinctes pour n’en retenir que la deuxième qui concerne le sujet de la tauromachie.

« L’enquête ciblera au moins 1 300 habitants de plus de 15 ans, interrogés en face à face à leur domicile entre le 1er juin et le 5 juillet. Elle vise à dresser un portrait réel des fêtes, selon la vision des habitants. Les questions aborderont divers sujets : les horaires, l’offre de restauration, la centralisation/décentralisation des événements, les espaces verts, la sécurité, la dimension religieuse, les associations, la participation, la cohabitation, la mobilité…

L’enquête cherchera à savoir pourquoi certains habitants restent ou partent durant les fêtes, leurs dépenses, le nombre de jours de participation, l’opinion sur les encierros (courses de toros) ou les corridas, l’emplacement des attractions foraines, des bals populaires, ou des maisons régionales, la dévotion au saint, ainsi que la perception des fêtes par les femmes, les minorités raciales, les personnes LGBTI, les personnes âgées ou les familles avec enfants, ou encore la satisfaction vis-à-vis des services publics, sanitaires ou de gestion des déchets. L’analyse statistique des données sera effectuée par le Bureau Stratégique de la Mairie de Pampelune.« 

Avec ou sans toros?

Comme on dit souvent le diable se cache dans les détails et les toros se retrouvent de manière opportune dans le questionnement sociétal mélant religion, sécurité, diversité …et l’emplacement des fêtes foraines.

Pour mémoire les arènes de Pampelune appartiennent à la Casa de la Misericordia (MECA). Cette institution gère une grande maison de retraite en remplissant une fonction sociale d’une grande importance. Une des grandes parties du budget provient des recettes réalisées au guichet des arènes.

Peut-être un jour, nous aurons l’occasion de rencontrer la maire actuel, mais dans l’attente, nous avons pu rencontrer un des membres du conseil municipal Juan José Echeverría membre d’opposition, président de certaines corridas de Pampelune et aficionado pour qu’il nous éclaire de son point de vue sur cette récente enquête qui peut remettre le feu aux poudres. Et si entre manipulation politique, inquiétudes économiques et défense acharnée de la tradition, les toros devenaient bien plus qu’un spectacle pour incarner aujourd’hui une bataille identitaire, culturelle et politique?

Juan José Echevarria ©️Jesus M Garzaron
San Fermín sans toros ? « Ce serait un simple botellón géant! »

Pour Juan José Echevarria « C’est une enquête très large sur de nombreux sujets qui peuvent être intéressants, mais ce qui l’est moins, c’est qu’elle insiste sur deux aspects qui, pour nous, ne devraient pas être remis en question : l’aspect religieux des fêtes de San Fermín — elles s’appellent ainsi pour une raison — et les toros, les encierros et tout ce qui tourne autour de la tauromachie. San Fermín vit autour du toro et on ne peut pas comprendre cette fête sans lui.

C’est notre avis sur la question. Nous pensons qu’il ne faut pas remettre en cause cet aspect religieux de la procession, qui comprend plusieurs actes solennels constituant l’âme de la ville. Tous les conseillers municipaux y participent, le maire en habit de cérémonie défile dans la rue, on y reste deux heures, c’est très long. Il y a une cérémonie appelée « les vêpres » le 6 juillet. C’est pourquoi nous, les conseillers, manquons souvent la corrida de rejón, car nous devons assister aux vêpres. Le 7 juillet a lieu la messe solennelle et la procession jusqu’à la cathédrale, puis le retour. Pour finir, il y a « la huitième de San Fermín », le dernier acte religieux, le 14 juillet. Puis, il y a les toros: les encierros, les encierrillos, les corridas, les « apartados »..

Sans ces moments ancrés dans l’histoire des fêtes , Pampelune y perdrait son essence «  S’il n’y a pas de toros et pas de religion, il ne reste qu’un gigantesque botellón (apéritif géant) ». Une formule lapidaire, mais qui résume bien le sentiment d’une partie de la population : les Sanfermines sans leur cœur traditionnel ne sont plus que du divertissement creux, livré aux excès d’une fête mondialisée.

Une enquête jugée biaisée : « C’est une stratégie politique »

Au cœur de la polémique, cette enquête menée par la mairie pour « évaluer la perception des fêtes ». Elle pose l’air de rien, deux questions sensibles : la place de la religion et celle de la tauromachie. Certains s’interrogent sur le choix de l’échantillon, qui peut-être orienté, notamment vers les quartiers les plus antitaurins, comme Chantrea. Une méthode biaisée, selon les opposants à la mairie actuelle, qui serait moins une consultation qu’un outil politique.

« Les sondages, on peut leur faire dire ce qu’on veut. Ce qui compte, c’est qui on interroge . Ils veulent faire plaisir à leur électorat, mais sans interdire frontalement les corridas. Ils savent que ce serait un suicide politique.Il y a eu un précédent. Récemment, une entreprise en charge de la communication et des réseaux sociaux de la mairie a demandé aux gens de ne pas taguer les publications avec des sujets taurins. Le maire a ensuite dit que c’était une erreur...bon! »

La tauromachie, un pilier économique oublié

Au-delà de la culture, l’économie locale repose largement sur les fêtes de San Fermín, et par ricochet, sur la tauromachie. Bars, hôtels, restaurants réalisent parfois jusqu’à 50 % de leur chiffre d’affaires annuel durant la semaine des festivités. « L’économie des Sanfermines, c’est massif. Pampelune a 200 000 habitants, l’agglomération, 350 000. C’est une grande ville. Mais les Sanfermines se concentrent dans la vieille ville. Dans les autres quartiers, l’activité hôtelière est quasi nulle. Pour les bars du centre historique, les Sanfermines représentent 50 % de leur chiffre d’affaires annuel.

Les patrons de bar prennent leurs vacances pendant la fête et louent leur établissement. Déjà il y a quelques années, les loyers allaient jusqu’à 30 ou 40 000 euros la semaine. »

Et surtout, la Casa de la Misericordia*, qui gère la Plaza de Toros, dépend à 70 % des revenus générés par les corridas pour subvenir à ses besoins.

« Ce sont les toros qui financent la Meca. Les résidents ne paient pas assez pour couvrir les coûts. Sans la tauromachie, la Meca ne survivrait pas ». Toucher à la tauromachie, c’est potentiellement mettre en péril un modèle économique et social qui fait vivre des dizaines d’employés, des centaines de commerçants, et une institution centenaire.

*Depuis plus de 300 ans, la Casa de Misericordia de Pampelune demeure une institution de référence dans la ville pour l’aide apportée aux plus défavorisés. Aujourd’hui encore, cette institution fondée en 1706 continue de respecter son principe fondateur essentiel : venir en aide en priorité aux personnes en situation de grande précarité socio-économique, nées à Pampelune ou enregistrées comme résidentes dans la capitale navarraise.

Un symbole politique en ligne de mire

Mais la tauromachie, aujourd’hui, est bien plus qu’une question d’argent ou de tradition : elle est devenue un totem politique, un marqueur idéologique. Pour la gauche pamplonaise, chez les indépendantistes basques, on la rejette encore comme résidu franquiste, alors que pour d’autres, elle est le cœur battant d’une identité navarraise, à part entière.

« Le but n’est pas d’abolir les toros d’un coup. C’est de les vider de leur sens, peu à peu. C’est plus subtil, mais plus efficace. » Serait-ce le début d’une une stratégie de sape, parfaitement assumée : vider les arènes, affaiblir les encierros, réduire la visibilité des spectacles?

Un coeur partagé

« Pourtant, iI y a des gens de Bildu qui aiment les corridas, mais ils le disent à voix basse. Si Sumar, Podemos sont clairement anti-taurins, Bildu a le coeur partagé. Rappelez-vous dans les années 60! Il y avait un célèbre leader indépendantiste Jon Idígoras. Il appartenait à Herri Batasuna** et s’est fait torero. Il a fait sa carrière sous l’apodo » El chiquiito de Amorebieta« . Cétait l’un des pires mais il était novillero. Ensuite il beaucoup oeuvré dans les cuadrillas locales. » Le dire trop fort, c’est peut-être, risquer l’exclusion de son propre camp.

Le maire Joseba Almiron aux arènes parmi les peñas lors d’une corrida (©️iñigo alzugaray)
Ambiance dans les tendidos sol, pas que festive! (©️pablo lasaosa)

« L’an dernier, la présidente de la Fédération des Peñas a dit qu’elle était anti-taurine. Pourtant, quand il faut faire la merienda, où le fait-elle? A la plaza del Castillo ou bien aux arènes? C’est vrai qu’il y a des peñas qui vont aux arènes et tournent le dos à la corrida. Mais s’il n’ y a plus de corridas, à qui vas-tu tourner le dos? A l’Espagne?

Bildu a deux clientèles : l’une est aficionada, aime les encierros, l’autre est farouchement opposée. Ils veulent contenter les deux. Ils diront : « 70 % des 1300 sondés sont contre », et ne feront rien, pour ne fâcher personne. Une opération bien calculée.»

**Herri Batasuna organisation politique dans les communautés autonomes du Pays basque et de Navarre, entre 1978 et 2000. Son objectif : la fondation d’un grand État basque (Euskal Herria), indépendant et socialiste

L’avenir des toros, miroir de l’avenir de la ville?

Dans ce climat tendu Juan José Echevarria cite la France comme modèle paradoxal. « En France, on protège les droits des minorités alors qu’en Espagne, on protège la majorité.  ».

« Quand on vote pour des partis indépendantistes, on ne pense pas aux toros. Nous, on y pense, car on est taurins. Bildu agit ainsi aujourd’hui pour satisfaire une minorité bruyante et calmer une partie certes minoritaire de son électorat. Pour le moment, les toros ne sont pas remis en cause officiellement…mais on ne joue pas avec le feu. » conclue Juan José Echevarria.

Ce débat autour des toros à Pampelune dépasse de loin la simple question d’aimer ou non la corrida. Il touche à l’identité même de la ville, à ses fondations historiques, à son avenir économique et social. Il illustre une tension bien plus vaste dans l’Espagne contemporaine : celle entre héritage et modernité, entre populisme culturel et respect des traditions. À Pampelune, les toros ne sont plus seulement une affaire de sable et de sang. Ils sont devenus un symbole de résistance ou de rupture.

Philippe Latour

2 réflexions sur “Pampelune, sans toros? Episode 2

  • Serge Chabrier

    Pampelune sans taureau et sans enciero n’aura plus le même attrait

    Répondre
  • Le maire actuel anti taurin… et pourtant comme votre photo l indique je l ai croisé sur les tendidos des arènes de pamplona..
    le bal des faux culs !!!

    Répondre

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