Paroles de président : Bernard Sicet
Paroles de président: Bernard Sicet
Loués ou critiqués, les présidents de corrida n’ont pas toujours la vie facile au palco. Avec leurs deux assesseurs, ils sont garants du bon déroulement du spectacle taurin. Leurs mouchoirs par leur nombre ou leur couleur sont lourds de sens quand ils apparaissent aux yeux de tous. Tertulias est allé à la rencontre de ces acteurs importants d’une corrida afin qu’ils nous parlent de la corrida vue d’en haut!
Bernard Sicet, 72 ans, est un des présidents de corrida les plus expérimentés. Son expérience fait qu’il est sollicité pour présider les corridas toristas des grandes Férias dans le Sud-ouest et à Céret. C’est d’ailleurs dans les arènes catalanes qu’il est monté pour la première fois au palco, il y a une vingtaine d’années. En 2023, il a présidé à Céret, Vic, Mont de Marsan, Orthez et Roquefort.
Tertulias : « Comment es-tu devenu aficionado ? »
Bernard Sicet :« J’ai eu la chance d’avoir un père excessivement aficionado. Il m’a amené au campo et aux toros très jeune quand j’avais six ou sept ans. C’était, en matière d’aficion, une pointure. Très ami avec Chopera, il était très lié au mundillo. Je me suis trouvé très tôt dans cette ambiance. Il avait une philosophie plutôt Bilbao et Madrid. Il m’a donné la chance de voir souvent Ordoñez, Dominiguin dans les années où ils sont revenus à la corrida. J’ai été entouré par nombre de ses amis qui écrivaient dans Toros. Je pense particulièrement à Monosabio. La corrida m’a plu. J’ai commencé à aller le matin au sorteo. J’ai ressenti très jeune le besoin d’être dans les coulisses de la corrida. J’aime autant le matin que l’après-midi.»
Tertulias : « D’aficionado à président comment s’est déroulé ton parcours ?
Bernard Sicet : «Présider pour moi c’est accessoire. Ce n’est pas du tout une finalité. Ce n’était pas une envie. C’est allé crescendo. J’ai présidé le Club Taurin Ricard de Bordeaux pendant quinze ans. Je recevais des organisateurs de plazas où j’aimais aller dont Céret, Vic, Parentis quand l’ADA gérait cette arène et Roquefort. Je soutenais une ligne éthique et toriste. Quand tu invites les gens, et échanges avec eux, cela créé des liens. Un jour, les cérétans m’ont demandé si j’accepterais d’être chez eux au palco. Ils m’ont dit que ce n’était pas un cadeau qu’ils me faisaient. Je n’ai pas osé refuser par amitié et parce que cette marque de confiance m’a beaucoup touché. Voilà comment je suis retrouvé au palco.
De là, les vicois abonnés à Céret ont sûrement considéré que je convenais à leurs critères. Ils m’ont demandé de présider chez eux. Puis ce fut le tour de Dax, Mont de Marsan pour les course difficiles comme les Pedraza où la gestion du tercio de varas est plus complexe. Tout est parti de Céret. Ils m’y ont vu présider et la régularité de ces présidences leur a semblé cohérente et en phase avec leur vision de la corrida. Pour Orthez, j’ai eu Laurent Morincome et Nicolas Pétriat comme assesseurs pour gérer avec eux quelques courses ,c’est ainsi que la confiance s’est établie. »
Tertulias : « Quel est le rôle du président avant et pendant une course ? »
Bernard Sicet :« C’est du bon sens. Ton rôle est d’aller voir les toros. Le président doit préparer avec les cuadrillas le sorteo. Il faut transmettre un message de confiance. Le matin est le plus important. C’est souvent le prélude à ce qui va se passer l’après-midi. Le matin, quand tout le monde est d’accord sur les lots, l’ordre de sortie, j’échange avec le ganadero, le mayoral. Ensuite je rassemble les responsables des cuadrillas et leur explique ce que j’attends qu’ils fassent par rapport à la plaza, au public.
Il y a toujours un échange sur l’importance du tercio de piques et ce qu’on attend d’eux. Je leur explique qu’il n’y aura pas de ma part de changement précipité et je préviens qu’il y aura au minimum deux rencontres et que, si le toro le permet, il y en aura plus. Je leur annonce que je serai attentif et vigilant à la demande de changement du maestro. Ainsi il sait qu’il sera partie prenante de la gestion du tercio de varas et qu’on ne le changera pas et qu’il a le temps de bien faire les choses. Je suis toujours très insistant sur cela.
Je leur rappelle qu’ils sont professionnels et que dans des arènes comme Céret, Vic, Roquefort , Mont de Marsan pour les corridas toristas, ils doivent rentrer dans la ligne de ce que le public attend. Ce sont des arènes où on veut voir des tercios de varas dans l’éthique et mettant le toro en valeur. Je passe du temps à bien leur expliquer cela. Je leur dis que je n’ennuierai pas le maestro avant la course par contre, je leur demande de lui transmettre le message du matin. Si ce message passe, il se crée un climat de confiance.
J’observe avec certains toreros, depuis qu’ils me voient à Vic ou Céret sur des courses dures, qu’ils jouent le jeu. Mais il faut rester humble, en piste ils restent ceux qui jouent leur vie. Sur la novillada de Yonnet à Roquefort de 2023, le premier novillo est dangereux et fait peur à tout le monde. Sur le reste de la course, les cuadrillas, ne tiennent plus compte de ce que tu as dit le matin.
A l’heure de la course, on fait une piqûre de rappel aux piqueros que je réunis. Je leur résume ce que j’ai dit le matin. Puis on salue tous les toreros . Ensuite la messe est dite et c’est eux qui ont les cartes en main.
Tertulias : « Durant une corrida faut-il laisser la place à l’esprit ou bien appliquer le règlement ? »
Bernard Sicet :« C’est une question très intéressante et complexe. Le président, doit faire respecter le règlement. Mais il y a des moments où on peut légèrement dériver. Au second tercio, par exemple, si le toro est très dangereux, comme à Roquefort cette année avec le premier novillo, on ne respecte pas le règlement. Il n’y a eu que deux banderilles de posées au lieu de quatre . Par contre les autres toros étaient banderillables. Mathieu Guillon l’a prouvé ce jour-là en banderillant merveilleusement bien. Là j’ai exigé les quatre palos car le manque de respect de l’éthique et du public a ses limites, nous nous devons d’y veiller, ce qu’a compris le public.
Dériver, c’est aussi rentrer dans l’aspect triomphaliste d’un public très festif. On sait qu’un certain public estime que la course a été mauvaise quand il n’y a pas eu d’oreilles. Je sens qu’il y a une pression de plus en plus forte de personnes qui ont l’impression qu’ils ont eu leur billet remboursé quand il y a eu une distribution de trophées. Il leur manque une connaissance suffisante du sujet pour apprécier le comportement des toros. Là, il faut rester rigoureux.»
Tertulias : « Comment gères-tu la pression du public (changement , demande de récompenses)? »
Bernard Sicet :« Même au bout de vingt ans j’ai toujours la trouille avant de présider. Quand le premier toro entre en piste tu es dedans, la peur, la pression s’évanouissent gentiment. On ne peut pas dire que l’on est insensible à la pression du public. On ne peut pas dire que c’est facile. Y être insensible ce n’est pas possible. Par contre il faut savoir y résister par ses convictions et par la clarté de ses décisions. Aujourd’hui la difficulté pour les présidents, c’est que de plus en plus, le public veut prendre le pouvoir au détriment du palco. Sur vingt ans, j’ai vu ce type de comportements devenir de plus en plus prégnants.
La pression existe et il y a des palcos qui y résistent et d’autres qui cèdent. J’ai toujours essayé de faire en sorte de garder mes convictions. Du coup, tu te fais souvent allumer comme quand je n’ai pas donné la seconde oreille à Gomez del Pilar cet été à Céret. Il y avait aussi des gens d’accord avec moi car la première oreille était une vraie oreille de Céret. Quand je sais que je vais donner deux oreilles,, je n’attends pas que le public me demande la seconde. Je mets les deux mouchoirs quasiment en même temps. »
Tertulias : « As-tu déjà regretté des décisions prises ?
Bernard Sicet : «Franchement, les quelques regrets qu’il peut m’arriver d’avoir parfois dans la gestion d’une course, ce ne sont pas les problèmes de trophées. Quand j’ai décidé qu’il y aurait une oreille pour moi c’est clair et il faut la donner parce que le public la demande. Quand j’ai décidé avec mes assesseurs de ne pas la donner parce que le torero a pour moi fait un numéro d’esbrouffe et dans un lieu sérieux où on ne doit pas la lâcher, je résiste. J’ai déjà connu cela à Céret avec Alberto Aguilar, où je me suis pris une très grande bronca. S’il faut donner deux oreilles, avec mes assesseurs on s’est déjà mis d’accord et on ne va pas attendre qu’on nous la demande. Donc je n’ai pas de problèmes au niveau de l’attribution des trophées.
Lors des courses que je préside, la grande complexité, c’est la gestion du tercio de varas, par exemple Mont de Marsan, avec les Pedraza. Avec ces toros, la gestion du premier tiers est compliquée. Le public vient pour voir des tercios de piques. Dans beaucoup d’autres courses ils n’en voient pas. Et le public en demande et en redemande.
Si tu laisses faire et joues le jeu, tu peux avoir un nombre de piques très au-delà de ce que l’on peut voir habituellement. Et après comment sera le toro à la muleta ? J’ai eu la chance, et c’est la seule ganaderia avec qui cela m’est arrivé, d’avoir trois courses avec deux toros de vuelta à chaque fois. C’était à Dax en 2016, Mont de Marsan en 2021 et 2022. En 2022, le troisième est extraordinaire. Il va quatre fois au cheval avec l’envie, le galop, la force et le poder. En somme il avait tout ce que l’on aime dans le premier tiers. Je mets la musique à ce toro au premier tercio. On sent que le toro peut revenir une cinquième fois. Et il y serait revenu, ce qui aurait à notre époque, été exceptionnel, mais je change le tercio. J’ai un peu le regret de l’avoir fait.
Je l’ai fait car j’ai pensé que ce grand toro, il fallait le voir à la muleta. Au moment de décider, j’ai dit à mes deux assesseurs, on change. Si je ne l’avais pas fait, l’aurait on vu aussi brillant au troisième tiers ? Aurait-il conservé cette charge, cet allant ? C’est une des fois où j’ai un eu doute sur la décision que j’ai prise. J’aurais aimé voir les deux choses mais c’était impossible. Piquer au regaton aurait été compliqué et dangereux avec ce type de toros, toujours est-il que ce fût un grand toro avec une vuelta très fêtée. »
Tertulias : « Est-il facile de laisser son goût personnel en dehors du palco ? »
Bernard Sicet : « Je préside des courses toristas et je suis un très grand admirateur de Morante de la Puebla. En dehors d’être un superbe artiste, c’est un très grand lidiador. Je suis un admirateur des matadors artistes et lidiadors. J’ai eu la chance d’en voir plusieurs dans ma vie comme Antonio Ordoñez et Paco Camino car on m’a amené aux arènes très jeune. Je les ai vus toréer dans les années 70 .
J’ai un goût pour l’art du toreo. Je me trouve confronté à des courses dures parce que je suis un aficionado torista. Je ne prends jamais autant de plaisir que quand il y a un vrai toro et en face un grand torero. Ce qui m’ennuie, c’est quand les toros sont au-dessus des matadors. Ce qui ne me plait pas, c’est quand face à un grand toro, le torero n’arrive qu’à lui couper une oreille. Quand tu es un grand torero, tu dois lui en couper deux.
Par contre quand il y a la rencontre du Toro avec un Maestro comme lors d’une faena de Morante à Bilbao avec un toro extraordinaire, nous étions tous debout, les larmes aux yeux. Le toro est comme un train. Il prend deux piques, le président change et Morante en fait mettre, sous la bronca, une troisième. Il avait vu le toro et fait ensuite un trasteo d’une classe extraordinaire et il a obtenu deux oreilles de Bilbao. J’aime les deux mais le toro doit être le personnage central. Le toro n’est pas un collaborateur, je déteste ce terme. C’est un animal sauvage. Quand le toro charge comme un carreton, je m’ennuie. »
Tertulias : « Qu’attends-tu de tes assesseurs ? »
Bernard Sicet :« Pour les intégrer et les responsabiliser, je demande à mes assesseurs de se lever avec moi quand les alguaciles vont chercher les toreros au moment du paseo. Pour moi un palco, c’est trois personnes et chacun doit être responsabilisé. Ils doivent être capables de participer à la gestion de la course. Il faut être en harmonie avec les gens qui t’accompagnent. Certains je les connais très bien, d’autres moins. En général nous déjeunons ensemble. Parfois comme lors de la course d’Escolar Gil à Céret, j’ai présidé avec deux personnes qui débutaient au palco. . C’est un cas exceptionnel, et il faut aider du mieux que l’on peut ceux qui acceptent cette première. Quand tu es avec des gens que tu connais, c’est autre chose. Tu sais comment gérer les choses. Tu connais la ligne, leur sensibilité. L’assesseur te connait aussi.
Ensuite ce qu’il faut faire dans la gestion de la course, c’est de toujours se parler. C’est de l’analyse du toro et de sa Lidia, que nos réflexions sont alimentées par exemple pour ce qui concerne le changement de tercio et pour l’octroi de trophées, si octroi il doit y avoir. Comme dans une partie d’échec ou de dames, il faut toujours avoir le coup d’avance. Il ne faut pas se poser la question de ce que l’on doit faire quand la chose vient de se dérouler. L’anticipation est nécessaire pour l’attribution des trophées. Lorsque tu es avec des gens en qui tu as une certaine confiance c’est plus facile. Quand tu es avec des gens qui ont peu d’expérience ou une vision de la corrida différente de la tienne, c’est plus compliqué. Tu gères la course un peu seul. »
Tertulias : « Désigné par les organisateurs, sans autorité officielle reconnue, un président a-t-il les mains totalement libre par rapport à ses décisions ? »
Bernard Sicet :« Je n’ai jamais eu, là où j’ai présidé des courses, de pression quelconque. La première fois que je suis monté au palco, à Céret, le président de l’ADAC Jean Louis Fourquet m’a dit cinq minutes avant la course : « Ici la musique et les oreilles, on s’en fout ». Un de ses collègues a rajouté « Mano de hierro, Présidente ». Là où je préside, jamais personne ne m’a demandé ou laissé entendre quoi que ce soit. J’ai toujours été totalement indépendant sinon je ne monterais pas. Je suis contre ces présidences qui sont aux ordres des empresas. C’est un avilissement. C’est un appauvrissement et une dérive fondamentale de la corrida. On n’est plus dans le rite, on est dans le spectacle. . Cette totale indépendance est à la base du CPAC (Corps des Présidents) auquel j’appartiens.»
Tertulias : « Le règlement taurin a-t-il besoin d’être dépoussiéré ? Si oui sur quels sujets ? »
Bernard Sicet :«La Fédération des Sociétés Taurines de France a fait un gros travail auquel j’ai participé. Nous avons fait, à la demande de l’UVTF, des propositions de modifications du règlement pour le rendre plus adapté aux conditions d’aujourd’hui. C’’est un travail qui nous a pris pratiquement un an. Nous avons recadré certaines choses mais c’est un vaste sujet. Le résultat de notre travail a été proposé à l’UVTF et nous attendons sa réponse. Il faudrait le faire évoluer sur beaucoup de comportements des cuadrillas, sur le respect du toro, de l’éthique. Nous avons aussi proposé que les aficionados soient mieux informés sur les décisions de la présidence. »
Tertulias : « Quels sont tes bons et mauvais souvenirs au palco ? »
Bernard Sicet :« Parmi les très bons souvenirs de Palco, il y a ces corridas de Pedraza de Yeltes. Lors de ces courses, avec deux vueltas à chaque fois, le public est heureux parce qu’il s’est passé quelque chose. Mais j’ai vécu d’autres bons moments avec des Dolores Aguirre, des Escolar, des Victorino. J’ai vécu un très grand moment quand j’ai présidé le solo de Robleño face à six Escolar à Céret en 2012.
C’est un très grand souvenir car il y avait une attente, une pression. Le torero était dans une forme physique éblouissante. Cela a été un très grand après-midi de toros. Cela a créé des liens avec le torero. Les jours où les toros n’étaient pas bons, je me suis ennuyé. J’ai présidé une course de Raso de Portillo avec des toros difficles à lidier. C’était à Vic.Dans ces mêmes arènes, j’ai eu une course d’Escolar qui est sortie dure puis une autre où Gomez del Pilar a triomphé avec un grand toro »
Tertulias : « Quelles sont les qualités que doit avoir un président de corrida ? »
Bernard Sicet : « Il faut d’abord être un aficionado de verdad et avoir du sang froid. Il faut être un aficionado qui ne cède pas quand ce qui passe est ou va être contraire à ses convictions. Un président doit faire confiance à son aficion et écouter ceux qui sont avec lui au palco. Il faut être capable d’adapter sa manière de présider à l’arène. Il doit y avoir une écoute de la plaza tout en conservant ses convictions sans oublier qu’on est là pour faire respecter le règlement. Chaque président a sa personnalité. Certains sont fermes dans leurs décisions, d’autres se laissent influencer par le public et d’autres sont au service des empresas. Présider, c’est aussi faire preuve de beaucoup d’humanité et d’humilité. »
Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul