San Sebastian, une histoire de famille
San Sebastian, une histoire de famille
A l’ombre du Pic Saint-Loup, avec pour voisinage les vignes et le raisin qui prennent le soleil, paissent les animaux qui portent le fer de San Sebastian. A peine quinze ans d’existence et la ganaderia a déjà connu le grand bain avec sa première corrida complète en 2022 à Chateaurenard. Ces quinze premières années devraient en appeler beaucoup d’autres. Aux côtés de Gilles Vangelisti le fondateur de la ganaderia, oeuvrent son fils Matthieu bien connu dans le milieu de la tauromachie et désormais Valentin le petit-fils six ans et déjà ganadero dans l’âme. Tertulias a rencontré ces éleveurs qui nous racontent cette histoire de famille.
Tertulias : « Qu’est-ce qui vous a amené à devenir ganadero ? »
Gilles Vangelisti : « C’est un rêve de gamin. Quand j’étais petit, je voulais devenir manadier de biou camarguais. Je suis originaire de Mauguio où se déroulaient beaucoup de courses camarguaises. J’admirais les manadiers et les gardians. C’était dans un coin de ma tête. Le temps a passé. Puis le hasard a fait que , professionnellement, je travaille avec Simon Casas aux arènes de Nîmes. J’ai découvert à 25 ans la corrida que je ne connaissais pas. Le virus camargue a muté en virus espagnol. J’avais toujours cette envie d’être éleveur. Fin 2008, j’ai pu le faire. Le domaine où nous sommes appartient à mon beau-père qui lui aussi est fou de toros et de chevaux. Il a été ravi quand je lui ai demandé si je pouvais créer sur ces terres une ganaderia. »
Tertulias : « Du rêve à la réalité, le chemin a dû être tortueux ? »
Gilles Vangelisti : « Effectivement réaliser mon rêve d’enfant n’a pas été simple. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est le fruit de quinze ans de travail sur le terrain. Grâce à Curro Caro et Pepe Limeño qui étaient les veedores de Simon Casas en Espagne, nous avons réussi à acheter des vaches marquées du fer de Jandilla. Elles venaient de la ganaderia Torrehandilla qui existe encore mais qui a changé de mains depuis. Le ganadero avait connu une période faste au plan professionnel. Il avait acquis pas mal de vaches. Ses affaires ont périclité et il a du vendre du bétail.
Le hasard a fait que l’on a pu lui acheter une quarantaine de vaches marquées du fer de Jandilla. On a démarré comme cela, sans trop s’y connaître. On a appris sur le tas. Nous avons fait des erreurs, on en refera mais cela nous fait avancer. Au départ on voulait se régaler, se faire plaisir. »
Tertulias : « Quinze ans c’est long, mais tout est allé quand même assez vite à l’échelle d’une ganaderia ? »
Gilles Vangelisti : « On a démarré en 2008/2009, et nous avons sorti notre première novillada en 2013 grâce à Pascal Mailhan qui gérait à l’époque les arènes de Tarascon. Il connaissait l’origine et nous a fait confiance. Il nous a donné l’opportunité de sortir une première novillada qui par chance a été bonne. Les six utreros ont été intéressants, l’un d’entre eux a fait la vuelta. Après c’est le bouche à oreille qui a fonctionné. On a sorti ensuite un lot à Saint Gilles. En 2016, on sort une novillada à Nîmes, dans une arène de première catégorie, pour le Féria des Vendanges. Elle aussi est sortie intéressante.
Nous nous recherchons la régularité. Avoir un bon toro cela peut arriver à tout le monde. Mais je préfère avoir six toros « moyens-bons » que cinq mauvais et un bon. Après ces novilladas, on a fait des festivals. Régulier dans la qualité et dans ce que nous recherchons, nous avons sorti des toros avec de la mobilité. Bien sûr en parlant de noblesse, de mobilité, de bravoure, j’enfonce des portes ouvertes. C’est quand même notre recherche. Il y a eu et il y a encore un problème de manque de forces, qui est dû en partie à ce que nos herbages ne sont pas très riches. Petit à petit, nous nous améliorons dans le soin aux toros, la nourriture.
En 2019 à Nîmes, nous avons sorti une novillada intéressante mais moins impactante que la précédente (des novillos qui se sont cassés les boulets). Il y a eu néanmoins trois novillos intéressants. On continue dans cette orientation avec un maître mot qui est se faire plaisir. Notre objectif est de sortir un novillada et une corrida. Nous n’avons pas un gros cheptel et nous ne pouvons pas nous permettre de l’accroître car le domaine est limité.
Tertulias : « Vous avez attaqué directement en piquée ? »
Matthieu Vangelisti : « Pas tout à fait, notre première sortie c’était en 2012 pour une sans picadors pour le Bolsin organisé par le Club Taurin de Mauguio. Il y avait juste deux becerros pour Luis Husson et Lilian Ferrani, deux novilleros qui depuis ont arrêté.»
Gilles Vangelisti : « C’était dans nos plans de passer en piquée mais pas aussi vite. Je me rappelle, dans l’hiver 2012-2013 quand Pascal Mailhan qui cherchait une novillada pour Tarascon m’a demandé de venir voir ce que nous avions au Campo. Il a vu les novillons et m’a dit « banco». C’était risqué . C’est le problème des ganaderos français. On n’a pas de joker. A notre niveau on n’a pas le droit à l’erreur. Chaque fois que nous sortons, je ne dirai pas que nous jouons notre peau mais on est regardé à la loupe. En même temps c’est normal.
Tertulias : « Comment s’est passé l’examen de passage en corrida? »
Gilles Vangelisti : « En 2022, nous avons sorti à Chateaurenard notre première corrida. C’était une mixte, nous avons fourni quatre toros pour la lidia à pied pour Clemente et Ferrera. Sur les quatre, un n’a pas été bon, les trois autres ont été intéressants avec un petit manque de forces. C’était une grande première, Chateaurenard est une arène importante dans la région. On est ressortis, contents sans plus, mais ce fut positif et en conformité avec notre objectif malgré ce défaut de forces que l’on essaie de corriger. »
Tertulias : « Comment s’est déroulée la temporada 2024? »
Gilles Vangelisti : « Nous n’avons pas eu de lot complets. En privé, on a eu des novillos intéressants. En public, nous avons eu un toro indulté lors du festival de Saint Etienne du Grès. Un toro intéressant est sorti à Riscle dans le Sud-ouest. A Chateaurenard, nous avons eu un très bon toro avec beaucoup de mobilité, de forces et d’exigence. C’est le toro que nous recherchons « noble mais pas bête ». La saison s’est terminée à Millas avec pour moi le meilleur novillo de notre temporada. Il avait tout ce que nous recherchons. Il a pris trois bonnes piques et avait un moteur et une noblesse exceptionnelle. J’aurais aimé que ce soit celui-là qui soit gracié. A nos yeux c’était le meilleur depuis la création de la ganaderia. »
Matthieu Vangelisti : « Je pense que le fait qu’il y a eu un très bon printemps avec plus d’herbe que d’habitude, le grain que nous avons changé. Tout cet ensemble a fait que cette année les toros ont eu un peu plus de forces et de moteur. »
Il y a eu aussi Mauguio avec un novillo intéressant. Cette temporada, nous avons reçu deux prix , l’un à Chateaurenard et l’autre à Millas. »
Tertulias : « Matthieu tu étais dans l’aventure dès le début ? »
Matthieu Vangelisti : « Oui j’étais là dès le début. Dans les premiers temps, j’habitais un peu loin de la ganaderia. Cela se faisait un peu par procuration et quand j’étais en vacances ou certains week-ends. Depuis quelques années, je me suis rapproché et je suis là plus souvent. Je suis plus présent et on peut partager cela tous les trois (Gilles le grand père, Matthieu le fils et Valentin le petit fils). »
Tertulias : « Comment expliqué ce démarrage somme toute très rapide ? »
Gilles Vangelisti : « Nous avons eu de la chance, une chance que nous avions provoqué en achetant au départ cet encaste là. Pepe Limeño nous avait briefés sur les familles. On a eu la chance que Pepe Reyes l’ancien mayoral de Jandilla vienne à l’occasion d’une Féria de Nîmes à la ganaderia. Il connaissait toutes les familles et nous a donné des orientations. Il ne s’est pas trompé. Toutes les familles qu’il nous avait recommandées ont bien fonctionné. C’est vrai que débuter à Tarascon était risqué mais on ne pouvait pas laisser passer l’opportunité. Cela a été plus vite que ce que l’on pensait. Même à Nîmes nous avons eu la chance que cela fonctionne.
Aujourd’hui on cherche à nous améliorer en conservant cette souche Jandilla en cherchant à donner plus de forces à nos toros pour qu’ils soient les plus complets possibles. Quand on sort un bon toro, comme dit Michel Gallon, c’est notre salaire à nous. C’est notre plus belle récompense. »
Matthieu Vangelisti : « Par contre quand on sort un mauvais toro, on baisse la tête en se posant des questions sur les choix que nous avons faits, C’est une alchimie compliquée. Quand on met le semental sur un lot de vaches, c’est la décision la plus importante. »
Tertulias : « Avez-vous déjà identifié vos propres familles ?»
Gilles Vangelisti : « Oui. On a les familles historiques des vaches de Jandilla. Nous avons aussi intégré quelques vaches de Daniel Ruiz mais je pense que cela a été une erreur. Pas totale parce que l’on a quelques familles que nous avons gardées mais si c’était à refaire, je ne le referais pas, même si le toro de Chateaurenard est un fils la dernière vache qui nous reste de Daniel Ruiz. »
Matthieu Vangelisti : « Nous avons une dizaine de familles sur lesquelles, par leur régularité dans le bon, nous pouvons avoir confiance. Quinze ans de recul, c’est très peu mais comme nous avons une camada très courte, on voit les familles tous les ans. Quand on veut composer un lot on tend vers les familles dans lesquelles on a le plus confiance et un recul de quatre ou cinq générations de bons résultats. Malgré cela tu peux passer à travers . »
Tertulias : « Comment et sur quels critères est opérée la sélection ? »
Matthieu Vangelisti : « Nous gardons les mêmes critères de sélection d’une année sur l’autre. Nous ne cherchons pas à avoir une qualité qui nous manque. Nous voulons fixer des comportements. C’est comme cela que je vois les tientas. Il y a certains animaux qui me touchent plus que d’autres. Ceux qui ont du cœur et de la bravoure.
Parfois on sort des vaches qui ne sont pas en état, pour lesquelles on aurait du attendre. Elles sont petites mais leur cœur est énorme. Cela me touche de voir un animal outrepasser ses conditions physiques et qui donne tout. Un jour, une vache m’a fait pleurer. Elle tape très fort au cheval et se casse une corne. Malgré cela elle a duré vingt minutes à la muleta. Elle n’a jamais ouvert la bouche. Jamais elle n’a fui. Pour moi la qualité intrinsèque, c’est le cœur, l’entrega et la bravoure.
Parmi nos sementales, un donne plus de moteur et de bravoure que de noblesse. On essaie de le mettre sur des vaches qui ont été très nobles et un peu moins braves au cheval. Inversement des vaches qui ont eu beaucoup de bravoure et moins de noblesse, on les met avec des sementales qui donne beaucoup de noblesse. On essaie de compenser. Mais cela reste de la théorie et cela ne marche pas tout le temps. »
Tertulias : « Avec un cheptel réduit en nombre, n’y a t’il pas de risque de consanguinité ? »
Gilles Vangelisti : « Aujourd’hui nous arrivons dans un moment où, en conservant le même sang, il est nécessaire de trouver un ou deux sementales pour éviter des problèmes de consanguinité. Il nous faut rester avec un taux de consanguinité inférieur à 30%. On va en rechercher en France ou en Espagne. L’idéal pour nous, serait d’acquérir cinq ou six becerros pour les tienter. C’ela reste compliqué. On peut aussi louer un semental . »
Matthieu Vangelisti : « On restera sur la même origine. Le fait de ne pas avoir mélangé plusieurs sangs, nous amène à retrouver des comportements dans certaines familles. Par exemple les vaches de Daniel Ruiz nous ont moins touchés parce qu’il n’y avait pas cette pointe d’exigence et de bravoure et pourtant c’est la même origine. Dans le même encaste, il n’y a pas le même niveau de bravoure et d’exigence . Nous voulons garder la caste et la race de Jandilla. Ce n’est pas l’entrainement mais la race qui fait charger les toros. Pour ce qui est de la consanguinité, c’est tout bon ou tout mauvais. Tu peux fixer un caractère positif ou un caractère négatif. Mais nos camadas, 35 à 40 naissances par an, sont courtes et on ne peut pas faire le test sur un petit lot de vaches. »
Tertulias : « Sur les vingt femelles qui naissent chaque année, combien vont devenir reproductrices ? »
Gilles Vangelisti : « Sur les tentaderos on est très exigeant, parfois trop même. On pourrait garder plus de vaches mais le domaine ici n’est pas top au point de vue herbages. En gardant trop de vaches, elles vont souffrir. Nous, nous allons souffrir financièrement. On a un degré d’exigence forcé et on en garde environ 25% chaque année. »
Matthieu Vangelisti : « Je filme toutes les tientas. Quand je revois certaines vaches, je me demande pourquoi on ne les a pas gardées. Il y a des vaches qui ne te laissent pas de doutes. D’autres qui a posteriori te font regretter de ne pas les avoir conservées. »
Gilles Vangelisti : « Il nous arrive aussi, quand on a des familles de Jandilla sur lesquelles nous n’avons pas eu beaucoup de femelles, d’en conserver pour maintenir la lignée. Dans ce cas là, nous sommes un peu plus indulgents. »
Matthieu Vangelisti : « C’est de ces familles qui ont beaucoup de régularité, que nous sortons les sementales. Même si le toro n’est pas exceptionnel, il y a une telle race dans la lignée que tu sais que cela va fonctionner même s’il y une part de risques bien sûr. »
Gilles Vangelisti : « Notre premier semental, qui est en fin de carrière, est arrivé dans le camion avec les premières vaches que nous avons achetées, c’est Pepe Reyes qui m’avait conseillé de le garder car son grand-père avait été indulté. C’est Jean Baptiste qui l’avait tienté. Le toro avait été très bon sans être extraordinaire mais la lignée a fait que l’on n’a pas regretté notre choix. »
Tertulias : « Comment sont prises les décisions stratégiques ? »
Gilles Vangelisti : « On prend les décisions à deux. J’écoute Matthieu car je considère qu’il est plus compétent que moi. Je prends mes décisions en fonction de mes émotions. Il faut que la vache me touche. Il y a eu une petite vache tientée par Clemente qui avait beaucoup de cœur puis le toro de Millas. Ils m’ont donné tous les deux la chair de poule. Pour les décisions, l’avenir ce n’est pas moi. »
Matthieu Vangelisti : « En général, nous prenons les décisions à deux. Il y a le ressenti sur le moment sur lequel nous sommes en général d’accord. Pour les animaux sur lesquels nous avons des doutes, il faut se pencher sur notre ressenti et sur le fait que la vache nous ait touchée ou pas, si elle a transmis ou pas de l’émotion. L’élevage et la sélection, c’est beaucoup d’instinct. Il faut faire confiance à son intuition et à son ressenti. »
Tertulias : « 2024 a été riche en émotion pour la ganaderia en particulier avec l’indulto de Saint Etienne du Grès. Qu’avez-vous ressenti ? »
Gilles Vangelisti : « C’est très émouvant. Pour nous, élever des toros n’est pas un travail. C’est notre passion. C’est de la joie, de l’émotion. On se dit que l’on ne s’est pas trompé dans nos sélections. Le novillo qui a été indulté, a été très émouvant pour nous. Mais le novillo de Millas a été bien au-dessus. Cela fait râler. Saint Etienne, c’était dans une ambiance de festival. Le novillo a été très très bon mais en termes d’émotions, cela a été bien plus fort. »
Matthieu Vangelisti : « Je me souviens de l’alguacil qui vient me dire que le Président demande si je veux garder le novillo. Ce n’est pas à moi de le gracier . Pour moi la pétition doit monter et être unanime. J’ai horreur des indultos qui sont sujets à controverse. Ce n’est pas à moi de faire la demande. »
Gilles Vangelisti : « Le contexte est assez drôle. Il n’y avait que cinq novillos de prévus à Saint-Etienne du Grès. Le Président du Club Taurin a fait la connaissance à Séville de Lama de Gongora et a sympathisé. Le torero voulait venir en France mais ne connaissait personne. Ce sont des amis du torero qui ont proposé de lui payer un toro pour ce festival. C’est comme cela que notre novillo est entré dans le sorteo. L’histoire est belle puisqu’un des amis du torero a mis la main et a tiré notre novillo qui n’était pas prévu pour le torero qui lui, non plus, n’était pas prévu. »
Matthieu Vangelisti : « Et juste après le sorteo, Lama de Gongora m’a demandé « Se puede indultar aqui ? ». Il avait envie que pour ses débuts en France , il se passe quelque chose. Il est sorti le couteau entre les dents et par chance le toro a bien servi. L’histoire est belle parce c’est une rencontre qui n’était pas prévue. »
Tertulias : « Un toro indulté a-t-il vocation à devenir automatiquement un semental ? »
Gilles Vangelisti : « Pour nous c’est le premier et il est issu d’une bonne famille. Comme c’est le premier, on va essayer. Cet indulto intervient à un moment où on se posait des questions sur le remplacement d’un semental qui arrivait en limite d’âge. On lui a mis dix-huit vaches dont on était sûr qu’il n’y avait pas de consanguinité. Il reste à attendre deux ans. On avait retienté la mère qui avait été excellente. D’habitude les retientas se font sans picador, uniquement à la muleta. Ce jour-là on avait mis un piquero. Cette vache avait pris trois piques et avait duré au troisième tiers avec beaucoup de profondeur. »
Matthieu Vangelisti : « Les retientas permettent de voir des vaches du fer de Jandilla que nous avions achetées. Ce jour-là c’est Rafael Viotti qui nous avait demandé des vaches de retienta pour que César Jimenez et Francisco José Espada dont il s’occupait, puissent s’entraîner. Cela a confirmé que ceux qui avaient approuvé les vaches ne s’étaient pas trompé. »
Tertulias : « Comment voyez-vous l’avenir de la ganaderia ? »
Gilles Vangelisti : « Notre objectif est de poursuivre dans cette régularité. On recherche la qualité et la régularité. Il faut que les gens qui sortent d’une corrida, ne se soient pas ennuyés. On recherche l’émotion. C’est un peu utopique. On n’a pas forcément envie d’agrandir notre cheptel. On souhaite toujours se faire plaisir. C’est beaucoup de travail, d’argent et de sacrifices. Quand on fait le bilan il est important d’être heureux. Si on ne regarde que le côté matériel, on arrête tout de suite. Nous voulons nour faire plaisir et très modestement procurer du plaisir aux toreros et au public. »
Tertulias : « Vous n’êtes sortis que dans le Sud-est ? »
Matthieu Vangelisti : «Non, cette année nous sommes allés à Riscle. »
Gilles Vangelisti : « Les éleveurs français ont beaucoup progressé depuis quinze à vingt ans. Robert Margé, Cuillé, Gallon et Pagès-Mailhan ont ouvert des portes en allant dans le Sud-ouest avec succès. Par ailleurs, il y a moins de toros espagnols de qualité disponibles. Ces deux phénomènes fusionnés font que les empresas du Sud-ouest hésitent moins à faire confiance aux élevages français. C’est remarquable. Je me souviens quand je faisais partie du bureau de l’Association des ganaderos français quand nous faisions les statistiques annuelles, il y avait peu de toros français lidiés en corrida ou novillada piquée dans le Sud-ouest. On a des contacts avec les arènes du Sud-ouest pour l’année prochaine. Maintenant il est acté que les novillos et toros français peuvent servir.
Des éleveurs comme Robert Margé, Pascal Mailhan et Gallon nous tirent vers le haut. A la décharge des arènes de première catégorie qui sont encore un peu frileuses, ce n’est pas l’empresa qui ne veut pas mais ce sont les toreros. Je pense que cela viendra. Durant les vingt dernières années, on a fait des progrès en matière de gestion et de professionnalisation de nos élevages. De plus aujourd’hui, il est possible d’acheter des vaches de qualité auprès d’éleveurs espagnols. Nous avons pu acheter des vaches de Jandilla en profitant de la situation financière d’un ganadero. En corrida, il n’y a pas dix éleveurs français qui peuvent sortir en corrida, mais pour tous ceux qui sortent en corridas ou novilladas piquées, les origines sont de qualité. Dans des encastes différents, c’est le choix des éleveurs, mais la qualité, le sérieux et le professionnalisme sont aujourd’hui au rendez-vous. »
Tertulias : « Quels sont les toreros qui viennent tienter ? »
Gilles Vangelisti : « Ce sont essentiellement des français. Il y a eu notamment Jean Baptiste. On a peu de tentaderos, on essaie d’en faire profiter le toreros français. Thomas Dufau est beaucoup venu. Rafi, Andy Younès, Tibo Garcia, Solal, Carlos Olsina,Clemente sont venus aussi. C’est aussi la preuve qu’ils ont confiance en notre élevage. On aimerait en avoir plus mais notre camada est limitée. César Jimenez est venu , il est parti content. Un torero espagnol important qui va bien parler de nos vaches c’est important. Sébastien Castella est venu aussi. Je sais qu’il aime bien notre ganaderia, chaque fois qu’il est venu, il y a eu de la qualité. Ce sont de petites pierres que l’on met les unes sur les autres. »
Tertulias : « Quand des toreros importants viennent tienter, la pression est-elle particulière pour l’ éleveur ? »
Gilles Vangelisti : « Oui toujours quand c’est Castella par exemple, c’est un torero du top 5 d’autant plus que l’on a une camada restreinte. Nous essayons dans ce cadre de sélectionner les vaches à tienter. C’est d’autant plus compliqué quand il vient en fin de saison. L’avantage, quand il vient, il est accompagné de Rafael Viotti, très grand banderillero, qui adore notre élevage. Le novillo à Saint Etienne du Grès, c’est lui qui en est à l’origine. Il est discret mais nous aide beaucoup.»
Matthieu Vangelisti : « Tu voudrais bien que la bonne vache sorte pour lui. Déjà parce que tu veux te régaler et vivre un grand moment. Voir une figura qui approuve une de tes vaches, c’est prodigieux. »
Le reportage photos complet
Nous profitons de la présence de Matthieu très impliqué dans la défense de la tauromachie et de sa promotion auprès des jeunes pour évoquer le sujet épineux de l’avenir de la tauromachie dans notre pays.
Tertulias : « Matthieu, comment vois-tu l’avenir de la tauromachie ? »
Regain
Matthieu Vangelisti : « Je le vois d’une manière positive. J’ai envie de le voir avec confiance parce que sur les deux dernières années, le fait d’avoir beaucoup été médiatisé et d’avoir pris la parole dans les grands médias nationaux avec des nouveaux visages de nouveaux discours, des mots qui sont bien passés auprès du grand public, il y a un regain d’aficion. Des gens qui ne venaient plus aux arènes, sont de retour. Des gens qui ne venaient pas s’y intéressent. Je trouve cela très positif.
Bien entendu, il y a le pendant. On est plus visible et forcément plus attaqué. Avant c’était tous les dix ans, aujourd’hui c’est tous les deux. Pour l’instant, nous avons plutôt les politiques avec nous, ce qui nous donne de la confiance. Le gros risque avec les politiques c’est de voir les antis par un parti qui a de la force. Cela peut-être risqué. Par ailleurs, nous avons toujours la constitution comme totem d’immunité. Elle nous protège car nous attaquer remet en cause ce qui est inscrit comme une tradition locale ininterrompue.
Etre présent et actif
En étant objectif, j’ai envie d’être conscient et méfiant mais toujours actif. Le pire, aujourd’hui, ce serait de s’endormir, de ne pas continuer à lutter et de cesser de faire du lobbying auprès des médias et des politiques. Les médias sont importants car cela nous ouvre les portes des grandes audiences. Le passage des toreros à l’antenne en octobre 2022 a porté ses fruits. La génération de nouveaux toreros est consciente de l’importance des médias et elle s’investit. Il y a des raisons d’être optimiste mais il ne faut pas s’endormir et être présent. »
Tertulias : « Est-ce que l’ensemble de la profession a pris conscience du risque économique ? »
Gilles Vangelisti : « Cela fait partie des problèmes récurrents. Les figuras demandent des cachets élevés. Ce qui est intéressant depuis deux ans, c’est que l’on voit des jeunes sur les gradins en France et en Espagne. Ce n’est pas encore le top. Mais aujourd’hui comparé à la course camarguaise, la corrida attire plus de jeunes. L’avenir de toutes les tauromachies passent par le fait que les jeunes viennent aux arènes. »
Matthieu Vangelisti : « A Nîmes, les 400 tendidos jeunes partent dans la journée. A Arles, ils les vendent tous aussi. Partout où il y a des offres pour les jeunes, elles trouvent preneurs. Les arènes doivent adapter l’offre. A Mauguio, nous avons fait des prix volontairement bas parce que pour relancer une arène il faut que les gradins soient pleins. »
Gilles Vangelisti : « Le frein pour les jeunes, c’est le prix. Tu ne peux pas demander à un jeune de prendre un abonnement à 300 ou 400 euros. Nous, nous avons fait des places à cinq euros, ce qui fait un abonnement à 25 euros pour une Féria de Nîmes. C’est un effort mais c’est aussi un investissement. »
Ne pas’endormir
Matthieu Vangelisti : « J’insiste sur le fait que je vois l’avenir de manière positive mais il ne faut pas s’endormir. Le risque, c’est de se croire que l’on sera toujours tranquille avec les politiques. Nous avons la chance d’avoir des gardes fous à l’Assemblée et au Sénat. Mais il suffit d’une élection pour que cela change. Le travail de lobbying est un travail de longue haleine. Tout ce qui a été fait lors de la PPL Caron, devrait être notre norme. Il faut régulièrement rencontrer les politiques, les journalistes. Il ne faut pas chercher à convaincre les gens mais présenter qui nous sommes. Pour cela, nous devons les amener au Campo ou dans une arène.
Leur expliquer peut leur donner envie d’aller voir. Le fait d’avoir assumer ce qu’était la corrida sans vouloir cacher des choses sur la mort, la douleur, la souffrance a désamorcé beaucoup de choses. Oui, le toro meurt dans l’arène mais c’est une mort glorifiée. Par rapport à une animal d’élevage, cela n’a rien à voir. Ce discours un peu nouveau a éveillé la curiosité et les consciences. Ceux qui viennent nous voir, nous demandent si on rentre les toros dans les box, le soir. Ce n’est pas une question idiote. C’est tellement ancré dans l’inconscient collectif qu’un animal d’élevage vit dans un box en stabulation. On leur montre les conditions d’élevage extensif, de semi-liberté. Ce sont nos meilleurs arguments. »
Propos recueillis par Philippe Latour et Thierry Reboul