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Solal, la soif de toréer

Solal, la soif de toréer

Il vient d’avoir 24 ans et, depuis le 17 septembre 2023, est devenu matador de toros. Solal (ne l’appelez plus Solalito) se bat au quotidien pour vivre sa passion et aller au bout de l’ambition de vivre des toros. La route est sinueuse mais la temporada 2024 courte en terme de contrats, a donné beaucoup d’espoirs pour le futur. Tertulias a rencontré Solal.

Tertulias : « Depuis très jeune tu rêves d’être torero, as-tu envisagé un jour de faire autre chose?»

Solal : « En fait c’est venu progressivement. Si j’ai, rapidement, eu beaucoup d’admiration pour les acteurs de ce milieu, l’envie de devenir matador est venue progressivement et s’est installée en moi vers 13/14 ans. Par contre une chose est sûre, c’est que depuis que j’ai cette envie, elle ne s’en va pas et je n’en démords pas. Du jeu de départ à l’école taurine, aux premières vaches, le choix s’est imposé à moi, car ce que je ressens en piste face à un animal je ne l’ai pas ressenti avec autant d’intensité en faisant autre chose. C’est sûrement un plaisir egoiste en fait, car tu es seul face au toro et personne ne peut se substituer à toi.»

Tertulias : « Désormais, tu apparais sous l’apodo de « Solal », est-ce que c’est parce que tu es devenu matador et/ou devenu adulte ?»

Solal : « C’est beaucoup plus simple que ça. En fait je n’aime pas vraiment l’apodo de Solalito. Ce n’est pas par rapport à la symbolique mais par rapport à la sonorité. Même si c’est arrivé à un certain moment charnière de ma carrière, c’est un pur hasard. J’aime qu’on m’appelle Solal.»

Tertulias : « Ton parcours de carrière n’est pas hyper fluide avec des longs temps d’apprentissage à chaque échelon, et beaucoup d’incertitudes après l’alternative, n’a-tu pas l’impression de devoir te justifier en permanence?»

Solal : « C’est vrai que mon parcours peut donner cette impression mais dans ce métier ne faut-il pas en permanence se justifier ? D’un autre côté, je ne me considère pas comme quelqu’un d’intrinsèquement doué. J’ai donc dû travailler pour appendre et assimiler les choses. Le COVID m’a fait perdre 18 mois qui plus est. Je trace ma route et mon chemin à mon rythme tout en franchissant les étapes une à une, l’essentiel c’est d’avancer et c’est ce que je fais me semble t’il !»

Tertulias : « Après la séparation d’avec Luisito, comment as-tu vécu le fait que personne ne te reprenne en main pour gérer ta carrière ?»

Solal : « Avec Luisito, nous étions arrivés au bout d’une étape. Mais durant notre collaboration je n’ai pas cherché à préparer un éventuel après. Je savais que cela pourrait être compliqué, et si j’ai eu quelques contacts que ce soit après l’alternative ou cet hiver, rien ne s’est concrétisé car il faut qu’il y ait une vraie envie commune. Je comprends que ce soit compliqué pour un apoderado de prendre en main la carrière d’un jeune après son alternative car il sait qu’il y des moments difficiles qui l’attendent. D’un autre côté prendre quelqu’un pour prendre quelqu’un n’a pas de sens et il faut qu’il y ait une vision commune, un objectif et un but à aller chercher dans le cadre d’une confiance réciproque.»

Tertulias : « Quelles sont les difficultés que tu rencontres de devoir gérer actuellement seul ta carrière ?»

Solal : « Les difficultés sont celles que tu peux rencontrer quant tu dois solliciter les décideurs. Parfois c’est même dur à avaler quand on ne répond ni à tes sollicitations, ni à tes messages. Il est des fois où tu peux te sentir humilié et c’est très dur moralement. Il faut encaisser. Ne pas être répété là où tu as triomphé n’est pas toujours facile à comprendre, et devoir se vendre ce n’est pas forcément plaisant. Heureusement avec quelques oreilles et des succès engrangés, ça ouvre quelques portes.»

Tertulias : « Cette séparation n’a t’elle pas constitué un mal pour un bien, dans le sens où en piste tu sembles plus toi-même, plus connecté avec le public? »

Solal : « Peut-être… Après en novillada comme à Aire, Dax, Nîmes par exemple j’ai connu des très belles matinées ou après-midi. Je me suis montré tel que je suis en prenant beaucoup de plaisir en piste. J’ai avec Luisito emmagasiner un savoir technique indispensable et nécessaire. Durant l’intersaison d’après l’alternative, j’ai beaucoup réfléchi à pourquoi je voulais mettre le costume de lumières et à ce que je voulais montrer en tant que torero. Alors quand je suis en piste, je veux transmettre au public mon envie et de tout donner sans avoir quelque chose à regretter. En 2024 que ce soit à Nîmes , Villeneuve ou Saint Gilles avec trois corridas totalement différentes, le public la ressenti et me l’a rendu.»

Tertulias : « Comment organises-tu tes entraînements aujourd’hui ?»

Solal : « C’est compliqué en dehors du toreo de salon… Le plus dur c’est le campo car je dépends du bon vouloir des ganaderos. Bien que des gens m’aident autant qu’ils le peuvent, cela ne représente pas de réelle puissance financière pour me payer du bétail et encore moins donc d’apoderado qui par relation peut trouver des opportunités d’entraînement.. Je viens de tienter chez Valverde, ca faisait presque trois mois sans toréer. Heureusement la fin de l’hiver s’annonce plus dense. Alors il faut rester motivé pour s’entraîner tous les jours et garder la même philosophie que quand je mets le costume de lumière pour ne rien regretter de sa journée et avoir le sentiment d’avoir tout donné. Je vais à Caissargues, Mont de Marsan , Bayonne. J’aimerais peut être refaire un tour à Sanlucar. Il y a toujours un compañero pour s’entraîner avec toi.»

Tertulias : « Que travailles-tu spécifiquement ? Côté artistique , côte technique?»

Solal : « Un peu des deux car il me faut continuer à tout travailler. Les grandes recherches de l’hiver concernent toujours la recherche d’une technique plus aboutie. Tu varies en fonction des jours et de ton inspiration. Je suis un torero qui n’est pas encore complètement défini dans son concept. J’ai pu toréer relâché face à un toro, mais je suis aussi allé au combat lorsqu’il a fallu. Le qualificatif de torero tout terrain n’est pas péjoratif, loin de là et je pense que c’est même une qualité, alors dans le travail au quotidien il faut savoir travailler toute une palette de situations.»

Tertulias : « Quels sont tes points forts et des zones de progrès 

Solal : « J’ai dû mal avec cette question. En étant perfectionniste tu te vois plus de défauts que de qualités. En tout cas un de mes points forts est d’être quelqu’un qui ne lâche jamais et qui essaie toujours à trouver une solution et même si parfois j’ai du mal à cacher mes émotions quand je ne la trouve pas, au moins j’essaie sans baisser les bras. Pour les progrès…il y en a encore beaucoup à faire.»

Tertulias : « Que ressens-tu face à un toro et que cherches tu à exprimer au final ?»

Solal : « Tout dépend du toro. Il y en a qui t’invite à beaucoup de douceur pour transmettre beaucoup d’harmonie alors que d’autres se mettent au travers de ton chemin et t’oblige à franchir la ligne rouge qui te fait peur. J’aime ce genre de toros à quitte ou double. Chacun a sa personnalité mais plusieurs manières de l’exprimer. Tu peux être fort mentalement sans le traduire par de la brutalité pour autant. La chance dans les toros, c’est que tu ne sais jamais sur lequel tu vas tomber.»

Tertulias : « Peur du public, peur du toro, peur de l’échec quel est la peur la plus difficile à maîtriser ?»

Solal : « J ’ai eu la chance lors d’un bolsin de croiser la route du maestro José Tomas. Il nous a dit à tous que s’il avait un seul conseil à nous donner c’est de ne pas oublier que la seule peur réelle à avoir était celle du toro. Le public, la pression ne sont qu’accessoires par rapport au toro.»

Tertulias : « Tu as réussi à l’appliquer ?»

Solal : « J’essaye en tout cas même si tout n’est pas évident. Quand je suis allé à Madrid tout était impressionnant, et c’était dur de se lâcher par rapport aux enjeux et de jouer une partie de sa carrière en deux fois vingt minutes mais j’essaie de l’appliquer au maximum.»

Madrid
Tertulias : « Le toro te fait peur alors ?»

Solal : « Oui, bien sûr. Un toro est là pour faire mal, pour faire peur sinon il y aurait beaucoup plus de toreros. Une figura a déclaré un jour « el que no tiene miedo, es mentiroso” ‘(celui qui n’a pas peur est un menteur), alors chacun à notre niveau on est bien conscient que le seul le toro te remet à ta vraie place dans ce métier. Il est sûrement plus facile de se remettre d’une bronca que d’un toro que tu ne comprends pas, c’est ce que je pense en tout cas.»

Tertulias : « As-tu des modèles en tauromachie et / ou dans la vie?»

Solal : « Côté toros, José Tomas est hors catégorie. Je m’inspire sinon de pas mal de sportifs et plus généralement de personnes que je peux croiser dans la vie de tous les jours qui ont une quête, un rêve et qui se donne tous les moyens pour pouvoir y arriver.»

Tertulias : « Y’a-t-il un plan B au cas où Solal le torero soit obligé de laisser la place à Solal l’homme de tous les jours?»

Solal : « L’homme de tous les jours il est déjà là. Le torero, il n’a pas encore atteint ses limites. Avant de penser au plan B, je reste focus sur le plan A. La phrase de l’école taurine de Madrid « Llegar a ser figura en el toreo es casi un milagro » (Devenir une vedette du toreo est presque un miracle) est tellement vraie, mais je veux profiter du toreo au maximum. Dans une de mes lectures j’ai trouvé cette phrase qui disait “ qu’est-ce qu’est le plus important avoir une réponse à sa question ou déjà se poser la question?”. Donc pour l’instant qu’est-ce qui est le plus important pour moi, y arriver ou bien tout faire pour y arriver? J’ai les pieds sur terre, alors l’hypothèse d’un plan B oui elle existe mais pour l’instant je n’y pense pas.»

Tertulias : « Pourrais-tu vivre un jour complètement en dehors du monde des toros ?»

Solal : « Je ne sais pas mais aujourd’hui, j’ai mal au ventre quand je ne torée pas. Je n’arrive pas à dormir en pensant à la prochaine opportunité de toréer. Ce que je sais c’est que les jours où je torée, je profite de ma journée comme jamais du café au réveil le matin, au soda d’après course. Vivre sans toros à ce jour ne me paraît pas envisageable.»

Tertulias : « Finalement quelle est ton ambition dans les toros ?»

Solal : « Je peux amener quelque chose de différent avec une personnalité atypique. En revêtant le costume de lumières, je pense que tous autant que nous sommes, nous avons la même ambition, les mêmes rêves qui sont de devenir une figura bien entendu mais déjà réussir ma vie serait de vivre des toros. Etre torero c’est vivre des toros, et je veux être torero.»

Tertulias : « Quel bilan tires-tu d’une temporada 2024 courte mais réussie ?»

Solal : « Le bilan comptable a suivi celui des mes émotions. même si les oreilles coupées ne sont pas tout. J’ai misé sur l’émotion, sur mes ressentis et sur ce que j’allais pouvoir transmettre. Ca a été un 3 sur 3. C’est une temporada sans aucun regret même s’il y a des choses à améliorer mais au final j’ai terminé les corridas,complètement vidé, avec le sentiment et la satisfaction d’avoir tout donné en piste.»

Tertulias : « Quels sont donc tes espoirs en 2025 ?»

Solal : « Au-delà de toréer le plus possible, je souhaite progresser de course en course pour terminer les corridas avec une satisfaction personnelle. Ma personnalité fait que quand je me régale en piste, les gens se régalent et quand je « m’ennuie » les gens peuvent s’ennuyer. J’espère donc, avoir tout le temps cette entrega qui peut parfois compenser la moindre qualité d‘un toro. Des toreros comme Borja Jimenez, Roca Rey voient toujours le verre à moitié plein, à moi de m’en inspirer.»

Tertulias : « Après un effet booster, le soufflet Caron pour les toreros français semble retomber, comment vois-tu l’avenir à court terme pour les toreros français?»

Solal : « On est nombreux certes mais c’est vrai que récemment j’ai eu comme réponse à une de mes sollicitations qu’un torero français était déjà signé donc je ne n’avais pas de possibilités d’intégrer le cartel. C’est dommageable alors qu’il y a une jeune génération qui arrive. Ce qui me fait souffrir et paradoxalement le plus vivre à la fois c’est ce besoin de toréer inassouvi. Donc c’est difficile de ne pas toréer au campo ou dans l’arène autant que je le souhaiterai donc j’espère pour ma part pouvoir trouver la place que je mérite.»

Merci à Solal pour sa disponibilité. Nul doute qu’en 2025, nous pourrons le croiser dans un patio avant un paseo dont il sera un des acteurs.

Propos recueillis par Philippe Latour

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