Todo un torero
« Parte facultativo » : cornada de deux trajectoires, une ascendante de 25 centimètres et une transversale de 20 centimètres sur la cuisse droite. C’est ce qu’on peut lire devant la porte de l’infirmerie des arènes de Las Ventas
Quelques paquets de minutes plus tôt, Gines Marin bataillait avec un toro de El Parralejo sans fond. Un de ceux qui vous indique d’entrée que les oreilles repartiront avec lui à l’abattoir. Gines Marin est un de ces toreros émergents qui tentent de se frayer un chemin parmi les grands, alors que le toro soit propice ou non au succès, il n’en a cure, Il veut prouver que les oreilles déjà coupées sur le sable de Las Ventas ne sont pas de la poudre aux yeux.
Oui mais voilà la belle histoire, ça ne sera pas pour aujourd’hui ! Après avoir été averti sans frais aucun, Gines part dans les airs, corne dans la cuisse !
Dans le callejon près de la barrière, cheveux frisés, machoire carrée, un picador regarde la scène. Son cœur et son ventre doivent se serrer, se retourner mais ça ne se voit pas. Pourtant ce picador c’est Guillermo, le papa du torero qui œuvre dans sa cuadrilla. Son fils se relève, cuisse déchiquetée, comme si de rien était. De carmin se colore son costume bleu électrique, le trou dans ses chairs est visible et pourtant aucun rictus, à peine une légère claudication.
Il repart au combat avec calme et résolution sans regarder les dégâts que son corps a subi. Dans l’infirmerie on s’affaire prêt à accueillir le blessé, mais personne n’arrive..
Gines doit se rendre à l’évidence que ce toro n’a rien pour lui sinon de donner de nouveaux mauvais coups, alors il finit par l’estoquer. Le Parralejo lutte pour ne pas tomber, le torero lutte pour ne montrer aucun signe d’impatience d’aller humer les odeurs de formol de l’infirmerie, le picador meurt d’envie d’aller prendre des nouvelles de son fils et pourtant tout reste dans l’ordre des choses. L’ovation monte, Marin la recueille et regagne tranquille le callejon.
Sans se presser, il va rejoindre à pied les bistouris du chirurgien de l’arène. Guillermo l’attend sur le passage. Au moment où son fils passe devant lui, avec une pudeur, presque une gène de le faire en public, il l’embrasse sur la joue que lui tend à peine son fils. Mains rangées derrière le dos pour ne pas faire trop grande démonstration de son affection, Guillermo Marin lui transmet comme il peut un peu de réconfort, on sent l’inquiétude, mais aussi le respect et l’admiration pour son rejeton dans ce geste si plein d’amour contraint. Gines Marin ne détourne pas le regard, comme ses ados qui à la sortie du lycée, ne veulent pas montrer trop d’attachement à leurs parents venus les chercher, mais ça doit lui faire du bien de pouvoir compter sur son papa en ce moment compliqué.
La tauromachie est un monde à part, c’est une évidence. Ses valeurs fantasmées ou non , ont des contours pas toujours bien définis mais en ce début de soirée dans les arènes de Las Ventas un fils et son père nous ont donné une démonstration de savoir être torero, todo un torero!
Philippe
Vous ressentez réellement les sensations du père et son fils mais merci de tellement bien l’exprimer
merci à vous…