Valverde: des toros pour l’émotion.
Valverde est un nom qui parle aux aficionados « toristes ». On se souvient du mano à mano entre El Fundi et Richard Milian face aux pupilles du Curé à Alès. L’élevage a tout doucement périclité. Il aurait comme tant d’autres, hélas, disparu si un Français n’avait pas entrepris de lui redonner son lustre d’antan. Jean Luc Couturier avait, jusqu’à 2012, géré avec succès une entreprise de boulangerie industrielle. L’heure de la retraite venue, il décide de devenir ganadero de toros braves. C’est ainsi qu’a commencé la renaissance des Conde de la Corte de Valverde.
Il a reçu Tertulias dans son mas provençal pour nous parler de son élevage .
Tertulias : « Comment a débuté l’aventure Valverde ? »
Jean Luc Couturier : « Nous avons fait l’achat des Curé de Valverde en Février 2012. Nous avons acquis le fer et l’ensemble du bétail et l’avons rapatrié en France le 30 avril. On a retienté l’ensemble des vaches de ventre. On en a écarté 40%. Le problème de Valverde, c’était un taux de consanguinité qui était à plus de 50% . Pourtant le fond de caste y était puisque Valverde c’est du pur Conde de la Corte. Nous avons pris contact avec le Conde et nous lui avons acheté 30 vaches approuvées. Le fait d’être membre de l’UCTL, comme lui, nous le permettait (aux non membres, un ganadero ne peut vendre que des vaches non tientées ou du desecho). Certaines étaient pleines. Nous avons récupéré ainsi neuf mâles pur Conde de la Corte. »
Tertulias : « Pourquoi Valverde ? »
Jean Luc Couturier : « C’est au Temperas que j’ai découvert les Valverde en 1990. Quand j’ai pris la décision de créer une ganaderia, dans mon esprit c’était ce type de toros. Au début des Valverde, du temps du Marquis de Garcigrande, c’était un panaché d’encastes. Don Cesario, le Curé de Valverde, a repris l’élevage et tous les ans à Madrid, ses toros fonctionnaient. Frascuelo est sorti par la Puerta Grande après les avoir toréés. Le Tendido 7 était fan des Valverde. »
Tertulias : « Comment avez-vous rafraichi le sang Valverde ? »
Jean Luc Couturier : « Le Valverde avait la réputation d’être un toro fort, brave au cheval, peu toréable, difficile. Pour rafraichir le sang, le Conde de la Corte n’étant pas dans un grand moment, nous n’avons pas voulu prendre de reproducteurs chez lui. Sur les conseils de l’UCTL, pour retrouver une branche de la même origine, nous avons acheté douze toros à El Torero provenant de différentes familles. L’achat s’est fait à la deuxième visite parce que les premiers toros présentés ne nous convenaient pas. La seconde fois, ils nous présentés des toros comme je les aime, forts, veletos et astifinos. Nous avons tienté les douze toros pour en conserver quatre comme reproducteurs. Aujourd’hui nous avons une centaine de vaches et une dizaine de sementales. »
Tertulias : « Quels résultats en dix ans ? »
Jean Luc Couturier : « On a démarré le travail de sélection. Les neuf toros issus des vaches du Conde de la Corte ont été tientés. On en a gardé trois. Progressivement nous sommes arrivés à remonter les notes des vaches. Depuis dix ans, de toutes les courses que nous avons sorties, il n’y a jamais eu un fracaso. Le public et les professionnels taurins ont vu nos progrès. Ils ont découvert que le Valverde est toréable.
Par exemple en 2017 à Orthez, nous avons présenté une corrida de bon niveau où il s’est coupé six oreilles, vuelta au toro et tout le monde à hombros. Puis il y a eu Istres , où nous sommes allés trois ans de suite. Juan Leal a triomphé avec nos toros. On a eu une très belle course avec un mano à mano entre Javier Cortés et Octavio Chacon. Avec plus de réussite à la mort, Javier serait sorti avec six oreilles. Le monde s’est aperçu que le Valverde en s’engageant, sans rentrer en guerre, était parfaitement lidiable. »
On l’a vu à Alès. On a lidié des toros de presque 6 ans . Il y a eu de l’émotion.
Bernard Marsella, qui est un organisateur extraordinaire, a monté une corrida de Valverde un 20 octobre. La date n’est pas favorable et en plus il y avait une pénurie d’essence. Il y avait 2400 personnes soient 400 de plus que pour les Pedraza en juin. Au cartel, les Valverde et trois français (Clemente, Salenc, Olsina). Il y a eu de l’émotion. Le dernier toro a été très bien mis en valeur à la pique (moins les premiers). Il y a eu de la lidia. Tous les toros ont été applaudis à l’arrastre. C’est la preuve que le travail de fond fait depuis des années porte ses fruits. »
Tertulias: « Quel toro recherchez-vous ? »
Jean Luc Couturier : « Je cherche le bon toro. Dans les années 82-85 il y a eu l’avènement de Paco Ojeda. C’est le premier torero que j’ai vu toréer. Avant 81, je ne connaissais , ni n’aimais la corrida. Ojeda a été une découverte dans le monde taurin, avec un sitio particulier. Toute une génération a toréé à la manière de Paco Ojeda. Ils avaient besoin de toros avant tout nobles. Les 6 grands élevages qui sont demandés par les vedettes ont produit des toros pour cette tauromachie. Aujourd’hui on choisit les toreros puis on cherche les toros. Cela a fonctionné pendant une période, mais aujourd’hui les arènes se vident. Le public est saturé.
Avant les peoples venaient aux arènes. Ils ne sont plus là. L’aficionado, qu’il aille à Arles, à Béziers, à Dax , ce sont les mêmes toros et les même toreros. Il y a une monotonie qui s’installe. Les arènes se vident car il n’y a pas d’émotion.
L’élément essentiel de la course est le toro. Le torero doit le toréer, le faire rompre. Ce n’est pas le toro « bonbon » qui n’a pas besoin d’être lidié qui va en transmettre. Il faut trouver un compromis. C’est ce que je cherche à faire avec les Valverde. Je l’ai cherché aussi avec les Concha y Sierra, 150 ans de patrimoine, que j’ai dû revendre.
Tertulias : « Qu’attendez-vous des Valverde ? »
Jean Luc Couturier : « Avec Valverde, je recherche à faire ce compromis entre de la bravoure pour créer de l’émotion et une certaine toréabilité. Mon objectif c’est de faire des toros braves, mais ils doivent être toréables. La pique c’est important. Je passe avant chaque course au patio de caballos pour voir les picadors pour leur demander de piquer et de ne pas se contenter de rencontres. Je cherche un toro qui embiste à la muleta sans être « soso ». Les grandes vedettes sont capables de faire rompre un toro et là , grâce à leurs compétences énormes, on vit alors de grands moments. Morante l’a montré cette année. C’est une question de volonté. Dans une arène, il n’y a rien de pire que l’ennui.
Lors des tientas, on filme tout. On prend des notes . Puis on revoit et on décortique les images avant de décider. On enregistre tous les éléments sur le livre de tienta. Pour tester les vaches, on privilégie des toreros qui montrent la bête avec ses qualités et ses défauts. J’aime bien Patrick Varin qui sait mettre en valeur les vaches. »
Tertulias : « Utilisez-vous un Torodrome ? »
Jean Luc Couturier : « Je l’ai mis en place dès 2012. Les toros de Valverde que j’ai achetés étaient pleins d’arthrose. Des bêtes qui restent en permanence dans des petits cercaderos ont des problèmes. Quand j’ai commencé à les faire courir, tout le monde m’a dit que j’allais les tuer. J’ai répondu « ou bien ils brillent dans les arènes ou bien ils meurent au campo ». Au bout de quelques temps, ils n’avaient plus d’arthrose. On fait courir deux corridas le mardi, le jeudi et le samedi. On les manipule à cheval. Le tour du torodrome fait deux kilomètres. Chaque toro court trois fois toutes les deux semaines. J’ai deux personnes sur le site. Ils sont aidés par un petit groupe d’amis. Dans l’élevage des braves, il faut une équipe réduite quand on les manipule et les fait courir. »
Tertulias : « Et les fundas ? »
Jean Luc Couturier : « Elles sont nécessaires si on ne veut pas perdre de toros. Sinon on en perd au moins un sur dix. Clemente était venu voir la course de Istres. On quitte le cercadero. Une bagarre générale éclate, un toro meurt. Ils se battent aussi avec les fundas avec des risques de cornadas internes. Mais les fundas limitent les pertes. Dès que j’ai vendu la course d’ Orthez, on les leur a mis. On est équipé pour le faire avec efficacité et sans traumatisme . On est capable de retirer les protections à 8 toros en deux heures. »
Tertulias : « Quelles sont les difficultés rencontrées par les éleveurs français et comment s’en sortir ? »
Jean Luc Couturier : « Il faut vendre les toros. Après quatre ans à Istres, je n’y retourne pas cette année. Moi, je remercie Caron. Pendant quatre semaines, on a parlé à nouveau de la corrida. J’ai apprécié tous les professionnels, les matadors qui sont montés au créneau. Le Français n’est pas fondamentalement anti-corrida. Il faut lui expliquer.
Cela fait des années que l’on est en baisse. Il faut se remettre en question. On détruit ce qui n’est pas le toro commercial. De grands encastes et élevages ont disparu. Sur 20 ans, il s’est fermé en France et en Espagne plus de trente arènes. On perd les fondations du système. Je suis ganadero par passion. J’ai failli racheter Garcigrande , puis j’ai acheté Valverde et Concha y Sierra. On m’a mis des bâtons dans les roues quand j’ai aménagé mes arènes. J’ai du revendre Concha y Sierra qu’on avait bien remonté à un autre ganadero.
C’est Tardieu qui m’a fait visiter le Campo et Ojeda découvrir la corrida dans les années 80. Venir au campo, c’est important pour comprendre et aimer la corrida. Cela passe par la connaissance de l’élevage. La corrida, c’est 10% du cheptel. J’ai découvert le bien-être animal au campo. Les vaches vivent jusqu’à 20 ans, mettent bas naturellement. Le petit reste 10 mois sous la mère. On dit que le toro a , pendant quatre à six ans, une vie idyllique pour quinze minutes de combat. La quadrature du cercle de la tauromachie, c’est l’Aficion, la Passion, l’Emotion, l’Exception. Pour faire comprendre et sauver la corrida, il faut commencer à accueillir les gens au campo.»
Tertulias : « Comment faire ? »
Jean Luc Couturier : « A Arles on a sorti juste deux novillos, Vic un toro en concours, rien à Nîmes , Béziers. Je vendais entre la France et l’Espagne 40 toros par an. Quand il y a eu le Covid, j’ai vendu un novilo. Il m’est resté des toros de cinq ans. Plutôt que de les envoyer à l’abattoir, on a décidé de les toréer ici en organisant des journées.
La première fois on a accueilli 500 personnes qui sont reparties ravies. En 2021, on rachète les gradins de La Brède. C’est plus agréable et plus en sécurité que les ballots de paille. On a eu des problèmes administratifs. Faire venir les gens au campo, est un produit d’avenir. Je n’ai eu l’autorisation de l’urbanisme que fin juin. Fin août et fin septembre, on a fait quatre spectacles. On a eu une moyenne de cinq cents personnes. Les gens vivent dans une ambiance campera. On fait un accoso y derribo, on a sorti quatre toros au lieu de six. Les gens rencontrent les toreros. Le produit est très convivial.
Ce type d’organisation peut marcher et sauver les élevages. Les gens ne peuvent pas voir les Valverde à Arles, Nîmes ou Béziers. Ils viennent les voir dans les arènes de la ganaderia. C’est un circuit court et surtout un débouché pour les toros. Cela apporte un plus à l’Aficion. »
Tertulias : « Quels seront les temps forts de la temporada 2023 pour Valverde ? »
Jean Luc Couturier : « Cette année nous irons à Orthez avec une très belle corrida. Ensuite, il y aura peut-être une novillada. Les discussions sont en cours. Le reste sera lidié chez nous.
Nous allons organiser six manifestations. La première est le 05 février pour les membres de l’association des « Amis de Valverde ». Fin mai pour le week-end de l’Ascension, on organise « la Romeria des Alpilles ». Le matin, il y aura une messe dans les arènes, puis une procession comme le Rocio. Suivront deux vaches en accoso y derribo. Elles seront toréées par les écoles taurines. L’après-midi seront lidiés deux toros de Joselito. J’en avais acheté pour l’an dernier. Les deux derniers seront combattus ce jour-là.
Suivront quatre autres journées début juin, juillet et deux mercredi du Campo en août. On pourra ainsi cette année lidier une trentaine de toros. »
Merci à jean Luc de nous avoir si gentiment reçu et d’avoir répondu à nos questions. Suerte pour la temporada et rendez vous à Orthez pour la corrida du 23 juillet ou à Valverde pour les journées au Campo qui y sont organisées.
Propos recueillis par Thierry Reboul.
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